Son manuscrit achevé, tout écrivain se retrouve face à son œuvre, qui désormais lui échappe tout en le constituant. La soumission à un éditeur de son manuscrit est toujours une épreuve pour l'écrivain : épreuve du jugement, peur du rejet, angoisse de l'attente... L'épreuve de l'écriture est d'être seul face à soi-même, celle de l'édition est liée à l'exposition de soi, de son intimité et de son être intérieur. Si le manuscrit est accepté, cette première épreuve sera bientôt remplacée par celle de la perte de son œuvre. Claude-Edmonde Magny, dans sa magnifique Lettre sur le pouvoir d'écrire (pour Jorge Semprun en 1943) écrit : « Nul ne peut écrire s'il n'a le cœur pur, c'est-à-dire s'il n'est assez dépris de soi. » C'est exactement le processus inverse qui se joue dans l'édition ; l'écrivain ne peut pas supporter toutes les épreuves d'être édité s'il n'est pas suffisamment épris de lui car ces épreuves seront une succession de pertes (le psychanalyste parlerait de manque et de désir).
Le processus d'écriture renvoie donc à la sublimation, à la faculté pour l'écrivain à s'emparer de son vécu : là où à la fonction cathartique s'ajoute le bénéfice narcissique de l'estime de soi. Le parcours de l'auteur l'amène un jour ou l'autre à être pris dans la tourmente de l'édition. Quel écrivain, parmi les plus grands, n'a jamais évoqué les tourments de la lecture des critiques ? Être édité c'est revivre les tourments de l'abandon, s'engager dans une relation sur le mode infantile avec l'éditeur, c'est accepter la critique, être disponible pour ses lecteurs... Alors que l'écriture est un parcours psychanalytique constructif, l'édition d'un livre est un événement disruptif dans le lien entre l'écrivain et son œuvre.
Aujourd'hui, il est difficile pour l'auteur d'accepter que ce parcours soit mis à mal par l'absence d'édition, et c'est tout naturellement, (alors que tous les outils de création, de diffusion et de lecture existent pour publier un livre) que l'auteur se tourne vers l'auto-édition – souvent contraint et forcé par les refus des maisons d'édition – parfois, et c'est de plus en plus souvent le cas, par choix pour garder le contrôle sur son œuvre, pour en être l'acteur jusqu'au bout de la chaîne dans la rencontre avec le lecteur. Le passage de l'écrit au livre est un parcours initiatique où l'écrivain apprend à se séparer de son œuvre quand elle devient livre.
L'œuvre appartient à l'écrivain, le livre appartient à son lecteur.
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Le petit guide de l'auto-édition - publier son livre et en faire un succès
No FicciónUn livre pratique sur un phénomène dans l'édition qui prend de l'ampleur : l'auto-édition. Les nouveaux réseaux de distribution ont toujours modifié et conditionné ce qu'ils distribuent. Le livre, en tant que premier média (au sens historique), celu...