Prologue

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  La vraie question, c'est Pourquoi. Pourquoi.
Elle était une fois de plus assise sur son rocher, seule, à contempler le vaste océan, à caresser les vagues des yeux, frémissant sous les embruns du soleil couchant.
C'est ici qu'Elena venait chaque fois qu'elle avait besoin d'être seule, de se ressourcer et de lâcher prise sur la grisaille quotidienne. Alors que le vent soufflait dans sa chevelure dorée, elle s'allongea sur le dos et observa les nuages rosés tachetant le ciel.
« Ils sont libres, eux » soupira-t-elle.
A seulement 17 ans, Elena Beaupré avait déjà pris conscience de l'étau de la société qui consiste à nous transformer en des marionnettes obéissantes nous empêchant de vivre comme bon nous semble. Sa mère étant décédée lorsqu'elle était encore très jeune, elle voyait son père partir tôt le matin à l'heure où elle se réveillait, et rentrer le soir exténué bien après l'heure du diner. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour assurer seul le rôle des deux parents, et elle lui rendait bien : gentille, obéissante, bienveillante, douée en classe, elle était une fille modèle pour son père, la première priorité pour lui étant « que si elle travaillait bien à l'école, il était un père comblé. »
L'école. Elle avança sa main vers les mouettes revenant du large qui volait au-dessus d'elle en un ballet gracieux, comme si elle voulait les attraper... Ou plutôt les rejoindre ? L'école. Elle n'était pas première de classe mais dans le peloton de tête pour le peu qu'elle travaillait, en terminale scientifique. Solitaire et discrète, elle n'avait pas beaucoup d'amis. A dire vrai elle n'en avait pas du tout. Elle ne parlait pas aux gens et ne les observait pas, ils ne l'intéressaient pas ; elle avait la tête dans les nuages, rêvant. De quoi ? Même elle, elle l'ignorait. Rêvant d'un quelque chose qui bouleverserait sa vie monotone probablement.
Elle n'était pas bien grande du haut de son mètre soixante-trois, mais elle était absolument magnifique, et elle tenait à être coquette, à bien s'habiller, à être subtilement maquillée. Pourtant les garçons ne lui plaisaient pas. Les filles non plus d'ailleurs ; et ce n'est pas les prétendants qui manquaient, vite déroutés par sa froideur glaciale. Elle était comme un hiver sans fin. Elle n'avait jamais vraiment trouvé quelqu'un à son goût, quelqu'un qui puisse lui correspondre, et elle était contente ainsi : son père lui parlait souvent de sa mère. Il est resté dévasté par sa perte, même 15 ans après, et elle ne voulait jamais souffrir d'amour. Il faisait ce qu'il pouvait pour cacher sa tristesse mais elle n'était pas dupe. Elle avait de la peine pour lui, car il était comme une coquille vide.
Elle sorti un petit coquillage de sa poche : c'était une coque blanche, vide.
« Salut, Papa » murmura-t-elle tristement avant de le poser sur le rocher. C'était une habitude, elle ramassait des coquillages et des pommes de pin par terre et les posait en hauteur, sur un muret, une boite aux lettres, ou un rocher comme pour « donner à ces petits objets une seconde vie » d'après elle. Ca l'apaisait de faire cela, et au plus loin qu'elle puisse se rappeler, elle l'avait toujours fait.
Elle soupira une fois de plus de son tout son corps. Pourquoi. Pourquoi Pourquoi pourquoi...
Le soleil sombrait de plus en plus vers l'horizon, le jour tombait doucement : bientôt la nuit hivernale du mois de Décembre allait s'emparer de la ville balnéaire. Elle ferma les yeux et se remémora encore comme c'est arrivé : elle se dirigeait vers son casier après les cours dans la foule bruyante que formait les élèves, esquivant les groupes qui marchaient lentement et ignorant toutes les conversations qui parvenaient à ses oreilles. Enfin à son casier, elle sorti sa clef et sans vraiment faire attention, l'ouvrit brusquement, tellement soudainement que quelqu'un qui courait justement dans sa direction se cogna violemment dessus et tomba à la renverse. Le bruit de sa tête sur la porte du casier fut assourdissant et elle en eut terriblement peur à tel point qu'elle lâcha un cri. Réalisant son geste, elle fut terriblement honteuse en voyant le dit garçon se relever en se frottant la tête en faisant une grimace. Morte de honte, elle s'empressa de s'excuser:
« Oh ! Pardon ! Je suis désolé ! C'était un accident, pardon ! J'ai ouvert le casier si vite et...
-C'est pas grave, plus de peur que de mal, Dit-il en fronçant les sourcils et en se frottant la tête tout en ramassant son sac. T'inquiète pas Elena ça va : Il est pas sucre le Léo ! Lança-t-il en s'efforçant de sourire joyeusement face à la détresse de la jeune fille. – Elle rougit sans pouvoir parler et sourit bêtement en retour - Je dois y aller je suis vraiment en retard ! »
Elle était resté planté là en le regardant partir, immobile et ébahie ses livres à la main, avant de se rendre compte que le couloir tout entier la regardait, ce qui lui déplu fortement dans sa gêne. Elle s'empressa de prendre ses affaires puis de déguerpir d'ici au plus vite. Elle était abasourdie, un garçon l'avait remarqué et appelé par son prénom alors que personne ne la remarquait, et surtout il l'avait fait sourire et rougir comme une pivoine ! Un sentiment de chaleur inconscient s'était emparé d'elle sur le moment. Ce fut bref, intense, étonnamment agréable... et pourtant terriblement terrifiant.
Sur le chemin pour rentrer chez elle, elle fit un crochet par les falaises, et la voilà sur son rocher favori, donnant sur le plus beau Panorama de l'estuaire.
Léo... Elle ne l'avait jamais vu auparavant, et en une fraction de seconde, elle avait tout vu, tout observé de son visage avec une précision draconienne : la couleur marron glacé de ses yeux, ses cheveux sombres comme la nuit, le rose pâle de ses lèvres, sa barbe négligée, le grain de beauté sur son oreille, l'odeur envoûtante de son parfum... Ou bien portait-il vraiment du parfum ? Il sentait bon et ça lui était suffisant. Ce sentiment grisant lui faisait peur. Pourquoi... La vraie question, c'est Pourquoi, se disait-elle. Pourquoi avoir si peur de tomber amoureuse ?
Il faisait nuit maintenant, et la lumière des lampadaires lointains éclairait faiblement le front de mer. Elle se redressa et contempla la lune qui s'élevait paisiblement dans le ciel, surgissant entre deux nuages épais. Elena sourit, et murmura doucement : « Bonsoir Maman... Elle marqua une pause pour apprécier le moment. J'ai quelque chose à te raconter... Et je crois que c'est quelque chose qui pourrait devenir fort »

Elle ne croyait pas si bien dire.  


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⏰ Dernière mise à jour : Nov 21, 2016 ⏰

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De l'Hiver au PrintempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant