Chapitre 5: Isolation.

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"QUAND CETTE SALOPE DE MIGRAINE VA-T-ELLE ENFIN CESSER??!"
Le cri résonne encore longtemps dans ma tête, et plane dans l'air de ma chambre.
Je m'effondre par terre, à un mètre de mon lit. Dans l'obscurité, et surtout avec la fatigue, je manque le lit. Un lit double.
"Mais quand...." murmure-je tout bas, comme si je parlais aux poils de la moquette dans lesquels j'ai mon nez.
Tout en me relevant péniblement, je pense à ce que je deviens, ou plutôt suis devenu. Je me vois, de loin, par quelque écran invisible:
Un jeune adulte, perdu, isolé dans son appartement, dans sa chambre plongée dans l'obscurité totale.
Isolé dans sa tête, de force, par une migraine insoutenable. Peut-être dûe au fait que cet homme n'avait pas dormi depuis un, deux, cinq jours?
J'ai vite perdu la notion du temps, suis rentré dans une sorte de bulle... Ma chaîne ne tourne plus qu'avec mes vidéos déjà programmées. Le reste? Prétexte de la maladie.
N'était-ce pas vrai, au final? N'en n'étais-je pas au point de m'enfermer dans ma chambre à cause d'un chat? N'étais-je pas devenu un tant soi peu fou?
Non, je ne pouvais pas y croire...  Tout était trop facile, trop... réel.
Ce chat avait réellement mangé dans la même assiette que celle de Clem', m'avait réellement dévisagé...
En sueur sur mon lit, je décide de bouger.
De réagir.
Ces quelques jours (s'ils ne sont que quelques) sont des jours perdus, que lui a gagné dans sa guerre pour avoir Clémence.
Elle est mienne, après tout.
Elle me revient à moi.
À moi seul.
Je me lève brusquement, provoquant un violent élancement dans le crâne. Pourquoi les deux tubes d'aspirine que j'ai avalés n'agissent donc pas? Enfin, soit!
Cet élan de confiance a rallumé toute cette force qui sommeillait en moi, ainsi que la faim... J'ouvre les stores et lève brusquement les mains pour me couvrir les yeux. La lumière du jour m'inonde, et me démontre que c'est extrêmement le bordel ici... Je n'arrive pas très bien à voir combien de slips sales s'entassent dans un coin, ou identifier les noms exacts des restes de bouffe jonchant le sol.
J'enjambe restes, caleçons et d'autres trucs dont je ne connaissais même pas l'existence (une petite balle...? Et j'ai cru apercevoir une pelote de laine aussi) et atteint la porte.
Fallait cuisiner soi-même, mais ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Un oeuf ou deux se retrouvent à grésiller doucement dans la poêle, avec un peu de beurre et des épices.
L'odeur délicieuse me vient aux narines et réveille la grande faim, qui était bien enfouie, loin, au fond de moi-même.
Et cela me fait encore plus de bien quand ça passe dans l'estomac, j'ai l'impression de revivre.
Cette faim, intenable, qui me tailladai les côtes, avait totalement disparu. Ainsi que ce mal de tête, mais lui avait laissé une drôle d'impression.... boah, c'est sans importance.
Une fois le ventre rempli, je fais le point. Je dois rattraper mon retard; le rattraper, ce sale chat de malheur. Il avait évidemment quitté l'appart, mais pour aller où.... où....?
Il partait rarement, et en généralement Clémence savait où il était...
-Cléééém?"
Rien.
Visiblement elle n'était pas là....Autour de moi, le petit couloir avec la porte d'entrée, fermée, forcément. Puis la porte de la chambre et de la salle de bain, grande ouverte, histoire d'aérer un poil.
Et enfin, celle du salon, légèrement entrouverte. Je m'en approche doucement, intrigué. Je me rends soudainement compte du grand calme qui plane, et de ce sentiment de vide.... Quelqu'un n'était pas là.
J'ouvre la porte, et vois le salon vide. Rangé aussi.
Pas là...
Il
Elle n'était pas là.
Partie.
Je regarde sur mon GSM. On est samedi. Ça fait... dix jours?
Une grande nausée me vient, ainsi que le retour de la migraine.
Mais en bien plus fort, chaque pulsation était un coup de hache dans ma tête, dans ma nuque et mes tempes.
Je me retiens de rendre ce que je venais de cuisiner.
Elle n'était pas là depuis.... depuis quand?
Je regarde tout autour de moi, et voit un papier accroché sur le frigo.
Évidemment je ne l'avais pas vu...
"Salut.
J'espère que tu ne vois pas ce message trop tard, mais il l'est déjà en quelque sorte.... je ne comprends pas pourquoi tu es devenu si étrange brusquement... je m'en vais chez Grégoire. J'ai besoin que tu me laisses seule. Et si tu te sens mieux, parle à Greg d'abord, ok?
Le chat est avec moi.
Je t'aime.
Clémence."
Le...
Le chat est avec moi? Le chat!
C'est lui!
Ma migraine me transperce la tête et je me retiens de tout envoyer valser autour de moi.
Greg. Il fallait que j'appelle Brioche, il fallait que je sache.
Je compose rapidement le numéro, me trompe trois fois puis me souviens que je l'avais déjà enregistré.
La sonnerie retentit et sonne.
Une fois.
Deux fois.
Réponds bordel.... me dis-je.
Trois fois.
"Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie vocale de Grégoire, veui..."
CLAC!
L'envie ne peut plus être retenue; je balance tout ce qui ma passe sous la main. Vase, assiette, cadres...
Elle était partie avec la chat! Il avait gagné! Elle me revient à moi!!
Il ne pouvait pas..... RAAAAAH!!!
Et là, la sonnerie de la porte d'entrée retentit.
Je me tais, pose le verre à pied quand j'allais fracasser contre le téléphone. Je vais ouvrir la porte, et vois Grégoire, extrêmement gêné et.... apeuré.
-Je... je voulais pas te déranger... tu... tu vas mieux?"
On aurai dit qu'il allait se pisser dessus.
-Où est-elle?"
Le visage de mon ami passa alors de l'incompréhension puis ensuite à la tristesse.
-Siph, elle... elle a..."
-QUOI?!"
Je le saisis brusquement et me retiens de le secouer partout.
-Dis-moi.... dis-moi...."
Et je le relâche, reculant d'un pas.
Lui ne bougea pas d'un poil, l'air grave.
"Elle a eu un accident, Julien. Désolé."
Un accident.

Le chat.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant