Quand Elena décide de percer la brume avec ses 3 amis, à la recherche de la clé qui délivrera le village Aïta de ses plus grandes peurs, plus rien ne peut l'arrêter. Pas même les dangers qui rodent dans l'ombre...
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C'était un matin où l'air était doux et à la fois frais, de ceux, un peu venteux, qui vous transpercent la peau de froid sans tout à fait vous faire frissonner. Et pourtant il faisait étonnement bon en ce matin de début d'automne que même les oiseaux étaient de sortie, alors que les autres bêtes ne montraient pas même la pointe de leurs moustaches. Le soleil brillait comme jamais et il n'y avait aucune trace de brume. C'était un jour parfait pour explorer le village.
D'habitude, Elena avait pour interdiction de sortir, mais depuis le temps, elle connaissait par cœur les conditions exceptionnelles qui lui en donnait le droit, alors elle ne manquait pas un de ces fameux jours si peu nombreux que lui offrait la vie. Elle partait à l'aventure pour découvrir l'endroit où elle vivait depuis toujours sans vraiment le connaître. Elena se demandait d'ailleurs si elle le connaitrait vraiment bien un jour.
Depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvienne, son père lui bourrait le crâne à coup de " C'est dangereux", "Si tu sors, tu mourras, ou avec un peu de chance, tu seras blessée à vie !", "Je fais ça pour ton bien, Elena Marin ! Tu me remercieras plus tard !" Et quand elle se plaignait de sa solitude : " Ma compagnie devrait te suffire, tu rencontreras des jeunes de ton âge au Minshaska, comme l'année dernière !"
Bla bla bla !
Elle connaissait ces tirades par cœur et attendait avec impatience de pouvoir quitter son père à ses 20 ans ! Elle avait d'ailleurs deux calendriers dans sa petite chambre : l'un, au-dessus de son lit, dénombrant les jours restant avant le Minshaska, l'autre, caché dans une boîte, au fond de son armoire, ceux restant avant sa vingtième année.
Un an, quatre mois et six jours. (Ainsi que trois heures et vingt et une minutes si l'on voulait être plus précis)
Les seuls moments ou la solitude était une délivrance étaient les jours comme aujourd'hui, qu'elle avait nommé les "free-days" : elle pouvait alors respirer à pleins poumons l'air frais du dehors, savourer chaque instant sans son père sur son dos, et partir tout le jour, sans manger-une perte de temps- pour s'amuser dans la nature, et bien sûr explorer son village natal.
Les autres jours, son père avait raison : c'était l'enfer, si on sortait, on n'en revenait pas vivant.
Ou plutôt, on n'en revenait pas tout court.
C'était encore un mystère pour la population Aïta mais les quelques personnes qui devenaient folles à rester enfermées et sortaient dans le brouillard avec vaillance, n'étaient jamais retrouvées lorsque les free-days arrivaient : pas de corps, pas de sang, pas d'objets ni de vêtements.
Ça leur faisait tous froid dans le dos. Et de mémoire de tout villageois, ça avait toujours été ainsi.
Pourtant, dans la maison la plus reculée des autres, la plus vieille femme du village, une centenaire, racontait au Minshaska à qui voulait bien l'entendre que ce cauchemar n'existait pas dans son enfance. Elle disait se souvenir clairement que chaque jour était comme les free-days, mais ne savait pas expliquer à quel moment ni pourquoi tout avait basculé. Elle disait y avoir perdu son père, car au début on ne connaissait pas le danger qui planait à l'extérieur des foyers- pour Elena, ça n'avait pas beaucoup évolué depuis- mais tout le monde se désintéressait d'elle car on savait que son père était mort il y a 50 ans, et de mort naturelle. Mais ça, elle ne voulait pas l'entendre et le niait en bloc.
Elena, elle, était très intéressée par les soi-disant bêtises de cette grand-mère aux longs cheveux roux/blanc nacrés et essayait toujours de lui soutirer le plus d'informations possible. Car après-tout, c'était peu-être son seul moyen d'en découvrir un peu plus sur le monde, du moins celui d'avant, et encore, seulement si la vielle femme disait vrai et n'était pas folle comme tout le monde le prétendait.
Après tout, elle ne se rappelait même plus de son prénom, et Elena elle-même, avait à peine du l'entendre deux ou trois fois depuis son enfance. Et ne l'avait au passage pas du tout retenu.
Les prénoms n'avaient jamais été son fort : chaque fois qu'elle rencontrait au Minshaska un enfant de son âge, elle ne se rappelait déjà plus de son nom l'année suivante. Il n'y avait que trois personnes dont les pseudonymes étaient ancrés dans sa petite tête de linotte : Maya, dite " bubulle" car son amie aux étranges cheveux rouges avait toujours été pleine de vie et pétillante, Oscar, dit "Jones" car c'était un vrai aventurier en herbe, comme l' Indiana Jones dans les livres qu'ils adoraient tant, et Oscar n'avait jamais peur de faire face à un adulte ou un enfant lorsqu'on lui faisait une remarque sur ses origines douteuses et sa peau couleur ébène. Et enfin Madhi, dit "CDE" ou "Le Chat Des Enfers", mais il ne faut pas chercher à comprendre : il avait lui- même choisi ce nom qu'il trouvait "cool" et avait menacé ses amis qui n'étaient pas d'accord, de les appeler par des surnoms ridicules jusqu'à ce qu'ils cèdent. Il a en effet mit sa menace à exécution et ça avait marché : après 3 jours à se faire appeler «les manches à balais», «la poire», «macaque boiteux» etc.... les trois autres en eurent vite marre. Après tout tant pis, ils n'allaient pas gâcher la seule semaine de l'année où ils pouvaient se voir pour une histoire de surnom !
Tous les quatre faisaient les 400 coups pendant sept jours et profitaient au maximum de la présence des autres, se délectant de potins, d'histoires fantastiques, de conseils, s'écrivant des mots gentils ou drôles pour se remonter le moral mutuellement le reste de l'année, inventant des jeux ridicules, réinventant un monde meilleur, s'offrant des cadeaux, souvent éphémères comme des bouquets de fleurs, et prenant des tonnes et des tonnes de photos d'eux, des gens, de la nature, du village, de la nourriture, des fesses des chiens... On les appelait "Les Imprévisibles".
Ça ne les dérangeait pas c'était plutôt cool, comme nom !
En attendant, Elena était seule et ses amis lui manquaient terriblement. Mais aujourd'hui, avec un peu de chance, elle tomberait sûrement sur eux ! Bien sûr ça aurait été plus simple d'aller directement toquer à chacune de leurs maisons, mais elle savait d'avance que si elle faisait ça, on lui claquerait la porte au nez. Non, vraiment, leur seul espoir était que ce jour-là, chaque parent des Imprévisibles accepte de laisser leurs enfants partir à l'aventure. Et ça n'était pas gagné d'avance....
Elena était déjà dans l'entrée à 6h15 du matin, laçant ses chaussures avec difficulté à cause de ses longs cheveux auburn qui lui cachait les yeux. Vraiment quelle plaie. Elle pensa que cette fois, vraiment, elle couperait ses cheveux. Mais seulement après avoir demandé son avis à Maya.
Elle avait fini de les attacher en un chignon à la va-vite très volumineux quand son père, Éric Marin sorti de la cuisine en baillant et s'étirant, tout muscle tendu au possible. Il ne fut pas étonné de la voir là, dans l'entrée, déjà prête à affronter le petit vent matinal, mais son regard se durcit tout de même. Il se dirigea alors lentement vers l'armoire en bois cadenassée, souvenir de sa femme, située à l'opposée d'Elena. Il prit son temps pour l'ouvrir tranquillement, mais avec tout de même une certaine froideur persistant dans ses gestes. Il plongea ses grandes mains velues à l'intérieur et en ressortit un flingue et un couteau bien aiguisé. Elle le regardait faire sans ciller.
Il pointa son arme à feu vers sa fille. Elle ne bougeait toujours pas. Ils ne disaient toujours rien.
Alors sans une seconde d'hésitation, il la lui lança, puis fit de même avec le couteau. Elle les rattrapa tous deux avec dextérité et le remercia d'un petit signe de tête.
Puis, sans un regard en arrière, Elena sortit dans la fraicheur du début d'automne, et claqua la porte sur une entrée déjà vide.
Elle respira un grand coup, à pleins poumons, et s'élança dans les broussailles, direction les ruelles quasi-désertes du village Aïta.