Visage

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Son coeur inexistant disparu encore plus loin d'elle. Son esprit se déchirait de douleur : Antoine n'était que quelqu'un à côté d'elle, mais elle voyait plus en lui. Antoine était tout ce qu'elle n'était pas et tout ce qu'elle voulait être : un être humain qui bouge, qui mange, qui se fatigue, qui dort, qui a des courbatures le matin en se levant, qui éprouve de la douleur et des sensations et qui peut les exprimer librement. Elle était un cerveau dans une boîte de conserve.

Ils choisirent le bon moment pour faire entrer Antoine. Eva le regardait et son esprit vagabondait toujours. La porte se ferma, il s'assit, ils se regardèrent.

-Aujourd'hui, j'ai mangé un plat trop bon. Je sais pas trop ce qu'il y avait dedans, je me suis pas méfié sur le moment, mais maintenant que j'y pense, j'aurais dû me méfier d'eux. On sait pas trop ce qu'ils font, alors ce qu'ils cuisinent, je préfère pas savoir... Surtout dans un laboratoire ! Tu crois qu'ils mettent des cerveaux dans leurs plats ?

Il rit de bon coeur, mais les yeux d'Eva ne riaient pas. Antoine le remarqua et stoppa son fou rire.

-Désolé, c'était pas drôle. Comme je peux pas trop te demander ce que t'as fait aujourd'hui, je peux te demander à quoi t'as pensé ?

Il l'incita du regard.

-T'as pensé à quoi aujourd'hui ?

Eva ne savait pas quoi ne pas répondre. Elle pensait à tout un tas de choses, sur lui, sur elle, sur ce qui les entourait. Ses pensées avaient tourné en rond, comme un poisson rouge dans son bocal, jusqu'à l'arrivée d'Antoine. Avec lui, il apportait de nouvelles pensées à Eva. Et de nouveaux sentiments, ce qui la tuait. Elle mourait de plaisir.

-Moi je me demande ce qui se passe dehors. Tu crois que mon chat a pu se nourrir sans moi ? Comment va ma mère ? Elle s'est remariée ? Peut-être que j'ai des demi-frères et soeurs et que je le sais pas. Déjà qu'avec ma soeur, c'était assez dur de supporter tous ses caprices, mais avec d'autres... Tu lui ressembles pas mal, d'ailleurs, enfin, sans les caprices, et sans le sourire... Après, je me souviens pas trop de ce à quoi elle ressemblait. Comment va mon père ? Lui aussi s'est peut-être remarié, avec une jolie scientifique. Ça fait plusieurs mois que je l'ai pas vu... Je meurs d'envie de le revoir, qu'il me parle de plein de trucs auxquels je comprendrais rien, comme d'hab' quoi. J'aimerais bien travailler avec lui, pour partager quelque chose avec lui et puis pour faire quelque chose. Dans cet endroit, je sers à rien et j'apprends rien. Alors que mon père pourrait me montrer pleins de choses, par exemple, comment créer un robot sympa comme toi : un joli robot qui aiderait les gens. Perso, j'ajouterais la fonction "parole" et je révolutionnerais le monde. Plus de guerres, plus de blessés, tout le monde aurait un gentil robot avec lui. Il verrait les enfants grandir, puis les aiderait avec leurs enfants, et ainsi de suite pendant des générations. Le gentil robot pratique. Il serait beau le futur, hein ? 

Gentil robot, serais-tu heureux ? Tu pourrais faire ce pour quoi tu aurais été programmé. Tu pourrais aider les gens, les rendre heureux. Tu pourrais aider leurs enfants, les élever, les rendre heureux. Tu pourrais t'occuper du chat, le nourrir, jouer avec lui, le rendre heureux. Aider les gens pourrait te rendre heureux. Dis-moi, gentil robot, tu crois que je pourrais aider des gens, moi aussi ? Aider une famille, comme celle que j'avais. Moi aussi, j'ai peut-être des frères et soeurs. Et un chat. Qu'est-ce que je voulais faire plus tard ? Qu'est-ce que je voulais faire avant de mourir, Gentil robot ?

Dis-moi, Gentil Robot, dans ce monde pourri, tu crois qu'on peut être heureux ?

-Je peux te raconter l'histoire de mon chat ? Je la racontais souvent au fils de ma voisine, il l'aimait bien. Alors, un jour, un beau garçon, intelligent, surdoué, plein de talents, nommé Antoine, rentrait de l'école. Il marchait, son sac sur le dos, ses écouteurs dans les oreilles. Le mouvement brusque d'une voiture à côté de lui le tira de ses pensées extraordinaires et il vit, sur la chaussée, un petit chaton tout gris qui courait après un papillon. Il sautait partout, il essayait de le manger. Puis le papillon survola un buisson de ronces, et le petit chat, ne regardant que sa proie, fonça tête la première dans le buisson. Il en ressortit rapidement, surpris et blessé. Le beau jeune homme, ne pouvant détourner les yeux de cet animal en détresse, le prit dans sa main, le cacha sous son manteau pour lui tenir chaud, avant de courir chez lui pour demander à ses parents ce qu'il fallait faire pour l'aider. Les parents ont été furieux qu'il ramène un animal comme ça à la maison, mais le petit chat n'avait pas de collier, alors ils ne pouvaient pas le ramener chez ses propriétaires. Ils sont montés dans la voiture, direction le vétérinaire, et le petit chat a été soigné. Il n'avait pas de tatouage, et donc pas de propriétaires. En insistant beaucoup auprès de ses parents, le jeune homme eut l'autorisation de le garder, à condition que sa soeur soit d'accord, ce qui était presque impossible. Mais il réussit à conclure un marché avec cette vipère : ils gardaient le chat si elle choisissait son nom. C'est là que Irus a rejoint la famille. Perso, je trouve que ce nom ressemble à "virus", et ma soeur m'avait répondu "C'est ce que t'es pour moi"... Dire que ça fait 3 ans que je l'ai pas vu, ça m'étonnerait même pas qu'elle m'ait oublié. Elle me manque un peu, je dois dire... Mais bon, c'est pas comme si j'étais enfermé dans un laboratoire à ne rien faire, ça pourrait aller plus mal.

Eva se sentait triste pour lui. Irus avait l'air si mignon. Et sa soeur, si désagréable. Elle compatissait pour lui. Lui qui ne se souvenait pas du visage de sa propre soeur, elle qui ne se souvenait pas de son propre visage. Le visage que les scientifiques lui avaient accolé était-il si ressemblant que ça à son ancien faciès ? Si seulement ils l'avaient laissée se souvenir de qui elle était. Si seulement ils avaient essayé de comprendre ce qu'était être à la place d'Eva, elle raconterait ses histoires à Antoine. Elle clamerait haut et fort qui elle avait été, qui elle aurait voulu être. Elle lui aurait raconté ce qu'était sa vie, ses amis, ses parents. Ce qui bloquait sa voix n'était plus seulement de la haine, de la vengeance, de la ruse, mais de la timidité et de la peur. Que pourrait-elle lui dire ? 

Elle qui était l'impossible, que pouvait-elle raconter ayant du sens ?

Le temps passa, les portes s'ouvrirent, Eva s'éloigna.

Et les scientifiques félicitèrent Antoine.



Wouhou, une nouvelle partie de publiée !

Désolée de son retard, et merci de votre patience pour mes publications irrégulières. En fait, j'écris mes parties en avance, et je les publie petit à petit, tout en gardant des parties en réserve pour pouvoir, en théorie, les publier régulièrement (ce que je ne fais, je m'en excuse vivement). Mais je n'ai pas eu le temps d'écrire récemment, donc pas de partie d'avance, et donc pas de publication... Vive ma logique imparable ! ^-^ Dans tous les cas, merci d'avoir lu ce chapitre, l'histoire d'Eva et Antoine avance lentement, mais sûrement ! J'espère que vous la lirez jusqu'à la fin pou savoir ce qu'ils deviennent ! ;)

Encore merci, et bonnes vacances de Noël !

Noneau :D

Parle-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant