Soir 1 ; 22:34

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“C'est beau.”
Voilà ce qu'elle m'avait dit lorsque je lui avais montré cette image, avec cette mélodie qui passait dans nos écouteurs.

“Ah oui ?” avais-je répondu, tout en me penchant vers l'écran de mon téléphone.

Elle s'était contentée d'acquiescer. J'avais alors tourné la tête vers la vitre couverte de buée, qui ne donnait vue que sur un défilé de champs obscurs. On ne voyait rien. C'était un matin hivernal comme les autres. Tout aussi sombre, tout aussi froid.

“Cette nuit, j'ai rêvé” ai-je dit.

Elle me regardait. Je sentais ses yeux bleus sur moi. Moi, qui dessinait une spirale pathétique sur la vitre. Moi, qui agitait doucement la tête, bercée par l'air de cette musique.

“J'ai rêvé de m'évader, de m'enfuir...

_Où ?” m'encouragea-t-elle calmement à poursuivre.

“Loin, très loin...

_Mais encore ?”

Je me suis interrompue. J'ai hésité. Et j'ai lâché :

“Nulle part. Je me suis réveillée.”

Je me suis tue. À ce moment, je ne savais pas quoi dire. Ou plutôt, je ne voulais plus rien dire. Appuyant ma tête contre la vitre, j'ai observé le sombre ciel. Par intermittence, on voyait la Lune. Puis, hop, un virage, et elle disparaissait avant de réapparaître lors d'un autre tournant, moins lumineuse qu'avant.

La pluie commença à tomber lorsque le bus prit de nouveau à gauche. Au début, ce n'était que de petites gouttes, s'écrasant lentement sur les pare-brises, puis sur la chaussée. Mais elles s'intensifièrent, martelant l'habitacle avec un rythme soutenu. Elles et la musique suffirent à me transporter dans de vieux souvenirs, datant de mes années collégiennes.

Je me souvenais encore très bien le visage qu'il avait eu, quand il m'avait annoncé qu'il ne restait aucune place dans le bus, exceptée celle à ma droite. En cet instant, je ne lui avais jeté qu'un bref regard, sans m'attarder sur les traits de son visage. Après tout, il s'agissait certainement de la première et de la dernière fois qu'on se parlerait.
Sauf que ça n'avait pas été le cas.

“Elle te ressemble...” me chuchota soudain mon amie, me sortant de mes pensées.

Sans m'en être aperçue, j'avais fermé mes yeux. Après avoir rapidement frotté le contour de mon visage, j'ai fini par me tourner vers elle. Je ne comprenais pas ce qu'elle venait de dire. Pour le lui faire comprendre, je penchais ma tête, battant des cils et fronçant les sourcils.

“Elle.

_Elle ? Qui, elle ?” ai-je répété, en cherchant du regard, une fille me ressemblant physiquement.

“Personne ici, me répondit ma voisine. Je te parlais de cette fille, celle de la photo. Elle te ressemble.”

Je clignais des paupières. Cette fille...? Elle, dont on ne voyait que l'ombre de sa silhouette ? Avec plus d'attention, je détaillais l'image du mieux possible. Ses paupières étaient closes. Rêvait-elle ou bien pensait-elle ? Ses cheveux étaient relâchés, flottant dans son dos, ils lui donnaient une sensation de liberté. Mais le plus fascinant, avec ce montage, cette photo, cette image, était la représentation du lion.

Lion. Roi des animaux. Animal noble, dit fort, parfois solitaire et dangereux. Relativement patient, et majestueux, à l'œil observateur et à l'allure féline. Le fait de voir sa tête, superposée sur l'arrière de celle de la fille, laissait deviner la force intérieure qu'elle possédait. Ou peut-être bien, était-ce le courage, qui était désigné ?

“Tu es comme elle. Tu es comme ça.” a déclaré avec assurance mon amie.

Je suis restée sans voix. Je ne comprenais pas. Ou plutôt, je ne voulais pas comprendre. Alors j'ai attendu qu'elle continue sa phrase, qu'elle m'explique. Mais rien n'est venu. Le bus s'était arrêté au terminus. Tout le monde s'est levé pour sortir, se pressant, de façon à ce que plusieurs personnes se placent entre mon amie et moi.

Interpeller quelqu'un n'est pas dans mes habitudes, alors je n'ai rien dit. Je n'ai rien fait. Je n'ai pas cherché à la rattraper. Je n'ai pas cherché à lui en reparler. Je n'ai pas cherché à comprendre, tout simplement...

Et comme maintes fois dans mon existence, une fois de plus, j'avais perdue la bataille avant d'avoir mené le combat...

Parce que j'avais eu peur.
Peur de ce qu'elle m'aurait dit.
Peur que ses yeux sondent mes véritables pensées.


Peur du jugement des autres,
voilà ce qu'était mon principal défaut, ma plus grande angoisse.

Inconnue05

Shard Of WordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant