Chapitre II - Nuit terrible

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Mei Zhi réapprit petit à petit à marcher : puis elle se mit à courir, à danser, à nager. Mais elle n'était pas parfaitement heureuse : son père, désormais froid et taciturne, ne parlait plus à personne, s'enfermait dans son bureau et y passait ses journées, mangeant séparément et dormant la tête dans ses parchemins. Le doute persistait dans le coeur de la jeune fille, et elle avait peur, peur du malheur qu'il lui avait prédit ; aussi ne profitait-elle pas pleinement de sa nouvelle existence. Un soir, elle fut envahie par un mauvais pressentiment, et emplie d'effroi, elle se leva de son lit et trottina jusqu'à la chambre de son frère.

- Je peux dormir avec toi? J'ai peur, toute seule, lui souffla-t-elle depuis l'encadrement de la porte, le regardant tranquillement astiquer la lame de son épée.

- Bien sûr, lui répondit-il avec un sourire chaleureux. Entre, viens près de moi !

Elle obéit timidement, s'asseyant à ses côtés. Elle plongea son visage dans son cou pour respirer son parfum de musc et observer la lame luisante, sur laquelle se projetait la flamme tremblotante des bougies.

- De quoi as-tu peur, Jiějie? lui demanda doucement Tao Zhi, rangeant son épée dans le fourreau qu'il gardait toujours sur lui, attaché à sa ceinture.

- Du malheur, murmura Mei Zhi. Tao Zhi, ai-je été égoïste en buvant cette potion? Père l'a dit, non seulement j'attire le malheur, mais en plus je le sème ! Je ne voudrais pas qu'il vous arrive du mal à cause de moi !

- Père a exagéré dans ses propos, lui souffla Tao Zhi en lui serrant tendrement la main pour la rassurer. Tu sais qu'il tient la magie en aversion : c'est parce qu'il a eu de mauvaises expériences dans le passé. Je ne pense pas que la magie attire le malheur.

- Mais toute magie a un prix, Tao Zhi !

- Et ce prix, je l'ai déjà payé. C'était le prix de la potion. Ne t'inquiète pas, il ne t'arrivera rien.

Mei Zhi garda le silence pendant quelques instants, et Tao ne l'interrompit pas : on entendait le sifflement tranquille des machines, mêlé au crépitement silencieux des flammes des bougies.

- Père a eu de mauvaises expériences avec la magie dans le passé, répéta Mei Zhi en s'allongeant sur la couchette, aussitôt imitée par son frère qui se lova contre elle.

- Oui, souffla-t-il.

- Il ne m'a jamais raconté ça.

- Moi non plus. C'est Mère qui m'en a parlé. Ça concerne sa première femme.

- Sa première femme?

- Oui. Mère n'est que sa deuxième épouse.

- Je ne savais pas, ça non plus...

C'est à cet instant que Mei Zhi se rendit compte qu'elle ne savait rien de la vie de son père ; ensemble, ils ne parlaient que de son travail, de ses idées, de ses progrès. Quant à sa mère, cela faisait très longtemps qu'elle n'avait pas eu une vraie conversation avec elle, parce qu'elle la considérait trop simple d'esprit : des fois même elle se demandait comment elle et le docteur, pourtant si différents, s'étaient trouvés. Ce fut donc à cet instant que Mei Zhi prit conscience de la cruauté de son jugement, et de son propre égoïsme.

Et à cet instant, des bruits de pas envahirent la maison, il y eut des cris, le bruit de lames qui s'entrechoquent, et les deux jeunes, allongés sur la couchette, serrés l'un contre l'autre, se figèrent. Mei Zhi allait parler, mais Tao Zhi couvrit ses lèvres de sa large paume pour l'en empêcher : il se releva silencieusement, lui faisant signe de ne pas faire de bruit. Et soudain, un hurlement déchira la nuit ; ils reconnurent la voix de leur mère.

Mei ZhiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant