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Rue Cocomassoli. Bondée de passants. L'odeur des fruits et légumes emplit le peu d'air respirable qu'il reste alors. On entend les jérémiades des clients et les exclamations des marchants. Parmi eux, M' repère Coco, un chouette type, toujours prêt à rendre service. Il se fraie avec peine un passage dans la foule, et respire avec dégoût l'odeur des bananes plantins.

pêches

et mangues juteuses

tomates sucrées

marrons chauds

chamallow braisés


la foule

regards fuyants

craintifs même

y'en a des craintifs par ici

moi j'en fais pas partie


il bombe le torse, fier


non, moi même si j'ai pas la chance de partir

moi ça va

ça va

Mimissotili Simi, mimissotili... Il vient de bousculer un de ces hommes d'affaires si sûrs d'eux et si avides de pouvoir, une mallette en permanence sous la main, costard-cravate comme tous les jours et s'excuse platement tandis que celui-ci lui lance un regard furieux, exprimant à lui seul la différence entre leurs deux mondes.

pfff

de toute façon

ils sont tous comme ça

tous

sans exception

et moi aussi

à ma manière

je suis pitoyable

M' rentre les épaules. En une seconde, cet homme est parvenu à le faire se sentir encore plus minable qu'il ne se sentait déjà, avec ses vêtements rapiécés qui sentent la cigarette et la sueur, la loque qui lui sert de chemise et les lambeaux de tissus qui tombent sur ses jambes maigres et dévastées. Encore quatre jours comme celui-ci et je suis bon à crever, pense-t-il à cet instant.

Entendant une voix familière, il se relève la tête et parvient à esquisser une ébauche de sourire. M, mon pote ! Viens voir, lui crie Coco.

Il bouscule encore deux passants qui ne le rabrouent gère, contrairement à cet... Oh, il ne vaut mieux pas y penser. Moins j'y pense, plus ça s'efface et moins ça existe. Il est comme ça, M', rationnel et têtu comme un mule mais il a un bon fond. Il se trouve enfin à la hauteur de Coco, et le salue d'une longue tape amicale sur l'épaule droite, pas la gauche, trop abîmée, trop usée par les lanières des filets portés à longueur de journée.

Alors mon bonhomme, comment ça va ? s'enquière joyeusement Coco, un sourire jusqu'aux oreilles. Il a un petit de toutou inoffensif, pense M'. C'est vrai, quoi, il est toujours là pour moi, pour les autres, et moi j'suis même pas fichu de lui rendre la pareille. Allez, on se reprend, j'veux reprendre ma vie en main.

ça va, j'y travaille tu sais, et toi alors, les affaires ?

C'est ça. Être poli. Amical. Friendly, comme ils disent. Il vient de penser en anglais. Lui, M', le congolais de souche ! Il n'en revient pas. Alors ça, pour une première, c'est une première ! Tout fier de lui, il n'écoute que distraitement la réponse de Coco - zut, déjà une résolution de manquée - et ne montre un intérêt pour les propos que lui tient son interlocuteur que quand il aperçoit le visage de celui-ci se froncer légèrement. Alors, il arrête le cours de ses pensées et revient à la réalité. Quoi, c'est pas normal ça, je l'ai jamais vu comme ça. Et imaginez sa surprise lorsque Coco l'empoigne soudainement et l'entraine vers la ruelle située derrière son étalage - comment on dit, déjà ? Display. M' se surprend à sourire malgré la situation - et puis il sent comme une drôle d'odeur, sa vision se brouille, tout devient noir.

noir

main(s) anguleuse(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant