Gardénia s'est recroquevillée sur elle-même. Elle pense. Ses yeux à demi entrouverts aperçoivent une lueur, loin, très loin. Elle n'a pas la force d'esquisser ne serait-ce qu'un mouvement. Ses sensations sont décuplées. Oh, et puis cette faim qui la ronge tant... ça progresse en elle-même, ça rogne peu à peu miette par miette ce que ça trouve sur son passage.
Et puis, un pas. Furtif, craintif presque, inattendu dans cette ruelle dévastée. Gardénia ne bouge pas. Elle se garde bien de respirer. Et puis, c'est trop. Elle lâche un soupir. Reprend son souffle. Observe ses doigts, potelés et fermes. Elle ne prend garde à l'ombre dont elle aperçoit les contours qui se tient à côté d'elle, jusqu'au moment où celui-ci se racle discrètement la gorge. Elle entrouvre son oeil droit.
merde,
c'est un homme
Elle rapproche instinctivement ses genoux de son menton et enfouit de nouveau son visage dans ses bras.
oh, et puis
au point où j'en suis hein
Elle se met à le détailler sauvagement, d'une façon presque intrusive.
tout noir celui-là
les sourcils fins mais désordonnés
une bouche menue
composée d'une moue mal formée
les yeux baissés
les mains moites de chaleur
les genoux caleux
la peau sur les os
il a presque l'air vulnérable
pff, qu'est-ce que je suis conne
un homme ça reste un homme
mais celui-ci...
celui-ci il a l'air repentant
comme s'il avait commis quelque chose d'horrible
horrible ouais
c'est le mot
et qu'il voulait se faire pardonner
mais pourquoi moi ?
Et puis l'homme semble se décider. Une goutte de sueur perle sur son front plissé. Il déplace fermement son pied droit, puis son pied gauche, et ainsi décidé il ressemble à l'un de ces pantins désarticulés qui peinent à coordonner leurs mouvements.
Il lève doucement ses yeux vers elle. Il se surprend à chercher dans son regard profond quelque chose, un soupçon de vie peut-être, il cherche à avoir la preuve qu'il ne la pas détruite. Ou du moins, qu'il n'a pas contribué à creuser cette faille, cet entrebâillement, ce fossé séparant ces deux mondes, se répète-t-il. De toute façon moi c'est pas de ma faute, on m'a entraîné là dedans j'ai fait que suivre.
Il s'avance de plus en plus rapidement vers elle. Il se tient désormais à deux pas de l'extrémité de son châle et le ramasse afin de recouvrir doucement sa main droite, restée détachée de sa frêle silhouette. Elle semble prendre peur, ses sourcils se froncent et sa bouche se crispe, comme anéantie par la pensée de ce qui pourrait arriver de nouveau. Puis, après ce qui pourrait sembler une éternité, son visage se détend et reprend sa forme initiale, tel un moule fraichement déformé. D'un nouveau coup d'oeil, elle embrase son visage et il recule, comme brûlé vif.
Il titube, perd ses repères et s'enfuit en courant.
Gardénia, étonnée, le regarde partir en soupirant. Dire qu'il s'avérait gentil... et je l'ai fait fuir, se répète-t-elle en boucle.