Perdue

Shadow

 Les rues sont désertes, je ne sais pas l'heure qu'il peut bien être. Intérieurement je culpabilise et maudit ma prof de maths qui m'a pris mon téléphone portable simplement parce que je l'avais sorti, il vibrait dans ma poche de jean . Si je m'écoutais, j'aurai pour elle en ce moment quelques jurons bien placés. Mais à la place je suis totalement démunie, sans moyen de communiquer pour qu'on vienne me chercher.

-Il n'y a donc personne qui habite dans ce trou paumé ?

Je rougis, je viens de parler à voix haute sans m'en rendre compte. Malgré mon moral à zéro et ma conviction que je ne quitterai jamais cet endroit. Je me ressaisis et entreprend de dénicher un peu d'aide dans ce fichu bled.

J'ai besoin de toute urgence de faire baisser la pression, rien de mieux pour cela que de m'adonner à mon loisir solitaire favori. Mon regard balaye les environs, je soupire de soulagement. Personne à proximité, je remets mon casque et sélectionne une musique totalement en décalage avec mon état d'esprit. Cette ironie me plait et allége temporairement ma peine actuelle, je commence à chantonner et à me déhancher sur ces premières notes entrainantes.

Rue déserte

Dernière cigarette

Plus rien ne bouge

Ils m'entrainent au bout de la nuit

Les démons de minuit

Ils m'entrainent jusqu'à l'insomnie

Les fantômes de l'ennui

Emile et Image « les démons de minuit »

Tout en continuant à me tortiller sur le rythme endiablé de la chanson. Je chaloupe d'un pied sur l'autre priant mon bon dieu pour qu'à cet instant aucune vieille bigote ne sorte sur le pas de sa porte. Et m'engage dans une petite rue mal éclairée, la mélodie prend fin et je me concentre sur mes pas, rattrapé par la réalité. Soudain, un bruit me fait sursauter. Je viens de trébucher sur le couvercle métallique d'une poubelle. A bout de nerfs, il ne m'en faudrait pas beaucoup pour que j'explose, mais je me contiens et continue d'avancer.

Je débouche sur ce qui semble être la place de village, l'éclairage  y est plus intense. Une faible lumière aux fenêtres d'une petite maison derrière de lourds rideaux tirés attire mon attention.

J'hésite un instant à tenter ma chance, quand brusquement, la lumière des lampadaires se met à vaciller.  Le vent s'engouffre sans bruit dans mon léger veston, cinglant la moindre parcelle de mon corps . J'agrippe fortement le heurtoir et scelle mes pieds au sol, les luminaires publiques oscillent dangereusement sous la force de bourrasques violentes emportant tous sur leur passage. Presque instantanément, l'obscurité vient m'envelopper, ma respiration s'accélère, mes mains sont moites . Je reste figée et hébétée, tressautant à peine quand un sinistre hurlement fend l'air. De mes membres flageolants, je frappe le heurtoir encore et encore m'accrochant à la dernière chose tangible et réelle .  

Comme pour détourner mon esprit tourmenté,je colle mon oreille à la lourde porte et écoute attentivement ce qui s'y passe. Des bruits de pas et de l'agitation, je crois un court instant être sauver. Ce n'est qu'illusion! Le judas se soulève mais la porte reste close. Je suis désemparée. Avec la force du désespoir, je frappe de toutes mes forces avec mes poings sur la porte. Le hurlement se fait de nouveau entendre, il semble se rapprocher de moi. Ma voix pâle et chevrotante supplie. 

- Aidez-moi !

Presque dans un murmure  plus pour moi-même, j'ajoute ces mots en sanglotant;

-Je vous en prie, je veux rentrer chez moi !!

 Je me laisse glisser sur le sol et colle mon visage brûlant sur la porte. Je place mes mains sur mes oreilles pour les protéger de ce cri qui me terrorise.

Le froid commence à me mordre la peau, je dois me mouvoir très rapidement pour fuir le plus loin possible.

Je cours à l'aveugle sans me retourner et regarde droit devant moi en espérant ne rencontrer aucun d'obstacle. Mes pas résonnent sur le pavé humide je dois quitter cet enfer. Mais je m'arrête net, un ricanement sordide résonne à mes oreilles.