La lumière du matin perça à travers l'épais rideau. Rythmé par le bruit du trot des chevaux, mon sommeil n'avait pas été spécialement reposant. Au final, étais-ce plus le bruit des chevaux qui me perturbait ou était-ce la vision incessante de cette cauchemardesque réalité qui ne cessait de se répéter en boucle devant mes yeux ?! Cela faisait maintenant deux jours et demi que nous avions quitté Argos si j'en croyais ce que m'avait dit mon interlocuteur. Aux cours de ces deux jours, je n'avais pas échangé un mot avec l'homme aux cheveux bleutés. Il m'avait parlé à quelques reprises, disant des banalités comme m'indiquer qu'il était l'heure de manger et donc de faire une pause ou encore le temps qu'il risquait à faire au vu du vent à l'extérieur. Jamais je ne lui donnais réponse, me mutant dans un silence de plomb. Je ne me sentais pas proche de cet homme...comment l'aurais-je pu après la façon dont nous nous sommes rencontrés ?! Il me sembla étrange, même à moi-même, de me sentir moins proche de lui que je n'avais pu l'être avec Argos. Il était pourtant évident que cet homme et moi avions surement plus de points communs que je n'en avais avec l'argonien. A chaque fois que je pensais à Argos, mon cœur ne cessait de se serrer et étrangement je commençais à penser que cette sensation ressemblait à ce que l'on ressentait à la perte d'un membre de sa famille. Même si nous n'avions partagés que peu de temps ensemble, je crois que je l'avais effectivement considéré comme tel, aussi inconsciemment que ce fusse. Était-ce seulement utile de ressasser tout ceci ? Cela m'aiderait-il seulement de le faire ? Honnêtement, je n'en savais rien moi-même mais j'en éprouvais un intense besoin.
« Nous arrivons Artémis. Ce voyage aura été long et pénible mais il est temps de rentrer chez toi. »
Entendant ces mots de la part de l'homme au regard de lune, j'observai alors l'extérieur, faisant coulisser l'épais rideau de la voiture. Soudain, j'eus l'impression de me faire envahir par une vague puissante. Devant mes yeux s'étala un spectacle de toute beauté : une ville entièrement construite sur la mer.
« Bienvenue à Azertoth Artémis. Comme tu peux le voir, cette ville est entièrement construite de manière à épouser la forme et les bienfaits du plus grand lac de la région, le Lac de Tisegnac. On la surnomme aussi la Ville Aquatique. »
En observant la ville qui défilait devant mes yeux, j'eus un profond sentiment d'apaisement. Chaque maison était construite sur pilotis mais possédait son propre moulin à eau. Étrangement les constructions semblaient faites dans un matériau dont je ne saisis pas immédiatement la nature, presque comme si elles étaient vivantes. Dans l'eau du lac, je pus apercevoir d'immenses formes mouvantes qui ne ressemblaient en rien à ce que j'eus connu depuis mon réveil. Pendant un bref instant, j'oubliais tout de ces derniers jours.
« Te voilà revenu chez toi. C'est ici que tu es née. »
Je regardai alors l'homme aux cheveux bleus. Ma ville natale... Vraiment ? Je regardai à nouveau la ville et je sentis un nouveau sentiment. Un extrême sentiment de vide. Je compris bien vite d'où il me venait, ce malaise : même si je n'avais aucun souvenir de mon passé...cette ville ne m'éveillait rien. Je n'avais ni l'impression d'y avoir jamais vécu, ni même la sensation de retrouver un ancien foyer. Rien. Je me sentais comme une étrangère dans cette ville qui était censé être mon foyer initial. Ne pourrais-je pas me sentir plus heureuse, même si cela était inconscient ?! La ville est belle, certes mais...je ne m'y sentais pas plus chez moi que dans n'importe quelle autre ville. A ces pensées, je baissai la tête et fermai les épais rideaux une nouvelle fois.
« ... »
N'insistant pas sur mon silence, l'homme aux cheveux bleus fit s'arrêter la voiture et en descendit presque immédiatement, refermant la porte derrière lui et me laissant seule. Une sorte de boule me noua l'estomac car je pris conscience que je m'étais habituée à ce mouvement de la part de l'homme au cours de mon voyage. Pour la première fois, je repris conscience de mon invalidité. Le choc de la séparation m'avait presque fait oublier ma situation actuelle, malgré le nombre de fois où j'ai dû y être confrontée depuis. Me laissant seule dans le noir de cette cabine, l'homme partait chercher l'objet de mon dégout, la preuve de mon invalidité. Rouvrant la porte sur mon cauchemar, il m'aida à m'installer sur ce fauteuil flottant qui représentait mon seul moyen de déplacement. Regardant mes jambes, je serrai les poings jusqu'à m'enfoncer les ongles dans la paume. Au même instant je sentis un gout de sang dans ma bouche et remarquai que je m'étais mordu la lèvre à m'en faire saigner. D'un revers de la main, j'effaçai le sang et baissai la tête. C'était dur. Vraiment dur. Je détestais ne plus pouvoir marcher mais plus encore, je détestais me sentir devenir un fardeau. Mon contrôle sur ma propre vie m'échappait, il me coulait entre les doigts. L'homme attrapa ma main à cet instant et me l'ouvrit doucement, essuyant le sang qui dégoulinait. Une fois fait, il se contenta de me regarder avec un sourire et reposa ma main où elle était. J'eus le sentiment de le détester pour ça. Je l'avais vu dans son regard, je l'avais aperçu : cette lueur de pitié. Rageant en mon fort intérieur, je restai muette, n'osant même pas regarder autour de moi. Je ne valais plus rien et je n'avais pas le sentiment de mériter d'être ici, parmi les vivants. Honnêtement, si ce dragon avait pu vraiment me dévorer plutôt que de me laisser en vie...
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Les chroniques d'Ina
Fantasy"Privé de mon passé, privé de mon identité, piégé dans un monde qui m'est inconnu, je ne sais rien de moi ni du monde dans lequel je me trouve. Me suivrez-vous dans l'histoire de ma vie sur ce continent inconnu qu'est Ina ?"