Chapitre 1 : Commencer par la fin

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L'obscurité. Parfois troublée par quelques lampadaires. Le doux ronronnement des roues qui mordent le bitume. Parfois, quelques cahots bercent celui qui s'endort. La route est paisible, mais longue. Il est tard, très tard. La soirée était mouvementée, la soirée était heureuse.

Viens le temps du repos, le temps du calme, bercés dans cette douce obscurité. A l'arrière, un jeune garçon regarde par la fenêtre à travers ses mèches brunes. Ses yeux d'émeraude scrutent le paysage sans le regarder, reflets d'un songe éveillé, d'une réflexion puissante et sourde que seule la douleur peut susciter, que tout le monde connait sans jamais reconnaître dans le regard des autres. La soirée était heureuse, la soirée était horrible.

Douce mélancolie qui enveloppe celui qui est triste à la fête. Celui qui n'a pas envie de rire, de s'amuser, avec ces gens qu'il ne connait pas, qui ne le comprendraient pas. Qu'a-t-il fait pour voir, en une pensée, en un instant, flétrir tant de gaieté ? Maudit puisse être cet esprit traître qui fait varier ses humeurs en lui rappelant qu'il est privé de bonheur. La soirée était horrible, la soirée était mortelle.

Car celui qui s'endort, bercé par la route et l'obscurité, c'est son père au volant.

Soudain il bascule, dans tous les sens du terme. Son esprit vers le sommeil, sa tête vers le volant, et son destin vers le cercueil. Vision d'horreur du jeune garçon qui voit s'approcher un mur. Il ne comprend pas, il lui faisait confiance, enfin, à sa conduite sure. Un fracas, bref, puissant.

Le jeune garçon relève les yeux, un voile s'est abattu sur ses sens. Il n'entend pas le bruit strident du véhicule mourant, il ne voit pas les restes écrabouillés de ses parents, il ne sent pas encore la froide chaleur du sang ruisselant.

Une dizaine de minutes ont dû passer avant que des ombres colorées ne viennent. Le jeune garçon est extrait, il ne comprend plus rien et sens le sommeil venir. Son esprit toujours embrumé ne voit pas, il n'a pas à voir. Pourtant, lorsqu'ils l'allongent dans le cercueil ambulant, il la voit, cette tôle plantée dans ses entrailles. Le sommeil l'emporte, et il perçoit, au loin, un son long et strident, un bip.


BIP BIP BIP


Vincent se releva d'un coup, portant immédiatement sa main à son abdomen. Il prit de grandes inspirations, réalisant qu'il avait encore fait ce foutu cauchemar. Il était en sueur dans son lit et croisa secrètement les doigts pour ne pas s'être encore pissé dessus. Il resta comme ça encore un moment, le temps de reprendre son souffle, puis il éteignit enfin son réveil qui commençait quand même à les lui briser. Soulagé de ne pas sentir l'ammoniac, il s'étira doucement. Il bandait ses muscles, caressait doucement sa peau, comme s'il se remettait en phase avec son corps. Il aurait voulu être du genre fin et musclé, mais ça, il ne le serait sans doute jamais.

Il souleva lentement les draps trempés et chopa son pyjama au sol. C'est pas tellement pour la pudeur mais sa peau humide lui donnait froid. Il s'habilla difficilement, comme engourdi, puis se dirigea vers la salle de bain. Il s'aspergea le visage puis se regarda dans la glace. Putain, 16 ans et toujours la même gueule de con... Ces mêmes putains d'yeux verts et ces mêmes cheveux mi- longs et banalement bruns. Il ne se trouvait pas beau... Il ne le serait sans doute jamais... Quelle gueule de con.

Il s'arracha enfin de cette vision pour aller choper lunettes et téléphone, histoire d'y voir enfin un peu quelque chose. Alors qu'il allait sortir, il remarqua quelque-chose posé sur son bureau. Il s'approcha et comprit alors que l'objet était une maquette de voiture complètement fracassée. Son sang ne fit qu'un tour et l'objet vola à travers la pièce.
Bien énervé, il sortit de sa chambre en claquant la porte. Même pas le temps de faire un mètre qu'une folle aux cheveux roses se jeta sur lui. Oh putain non, Kimiko.

[réécrit] Les déprogrammeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant