Par-delà le temps et la mort

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Un petit OS écrit l'année dernière, et jamais publié ici. La date étant adéquate, je vous le laisse découvrir aujourd'hui...
Donc, un bon anniversaire à quelqu'un qui est né le 9 janvier 1960... Si vous me connaissez un tant soit peu, vous devinerez vite qui ;)

***

Je ne pensais pas apprendre à mourir, jeune à tout jamais, drapé dans ma cape,
mon regard rêveur montant vers l'étoile des solitudes.

Mihai Eminescu ( 15-01-1850/15-01-1889)

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9 janvier 2016

La jeune femme avançait lentement. L'air était coupant et sentait la neige, l'accalmie n'allait pas tarder à prendre fin. Ses pas laissaient de profondes empreintes dans l'épais tapis blanc qui recouvrait le chemin. Près du Lac, se dressaient deux monticules aux contours trop réguliers pour être naturels, mais aux angles adoucis par les couches successives de neige qui les avaient recouverts ces derniers jours.

Enveloppée dans une cape noire bien trop grande pour elle, qui l'enveloppait entièrement, seule tâche sombre dans l'immensité du paysage figé dans la blancheur de ce petit matin d'hiver, elle se dirigeait sans l'ombre d'une hésitation vers la plus petite des formations rectangulaires dressées au bord du lac gelé. Lorsqu'elle fut arrivée, elle resta un moment immobile, indécise de la conduite à tenir. Puis, indifférente à l'humidité, elle s'assit à même le sol, où elle resta un long moment silencieuse, ne sachant pas trop comment commencer.

« Bonjour, professeur... Je- Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Je veux dire... Je ne sais pas pourquoi je parle toute seule, comme une idiote, alors que je sais que vous ne pouvez pas m'entendre. Mais ça me fait du bien, je suppose. Et puis malgré tout... On espère toujours...
Vous me manquez... La première année, je vous l'ai dit, je vous l'ai répété la deuxième et toutes les suivantes. Vous me manquez... Tellement.
...
Même après dix-huit ans, vous me manquez. Vous n'avez jamais su à quel point je vous admirais, à quel point j'aurais aimé que vous me regardiez autrement que comme une élève exaspérante, à quel point je vous... aimais.
...
Même lorsque tous vous avaient tourné le dos, lorsqu'ils vous traitaient de tous les noms et vous vouaient aux gémonies. Lorsqu'ils souhaitaient votre mort. Lorsqu'ils vous traitaient de lâche, de traitre et d'assassin. Moi, je savais. Je savais que tout ce qu'ils disaient ne pouvait pas être possible. Je savais. Malgré l'évidence. Malgré les preuves qu'ils me montraient. Alors je me taisais, et je priais pour vous retrouver, pour vous demander... Parce qu'à vous, je vous aurais cru, mais pas à eux, non pas à eux. Ils s'étaient trompés trop souvent, ils vous haïssaient trop, depuis trop longtemps.
Et puis leurs yeux se sont ouverts, et les vôtres se sont fermés, et cette nuit-là, les miens ont tellement coulé qu'ils en ont épuisé leurs larmes.
...
Ils m'ont dit 'il faut vivre', 'il faut oublier'. Oublier la guerre, laisser dormir les morts.
J'ai essayé, je vous jure que j'ai essayé. Mais je n'ai pas pu. Mais je n'ai pas su. Oui, moi, la Miss-je-sais-tout, je n'ai pas su, et je ne saurai jamais.
...
Aujourd'hui, c'est votre anniversaire, vous avez trente-huit ans. Il y a dix-huit ans que vous avez trente-huit ans. Et maintenant, j'ai presque rattrapé votre âge et je ne peux pas oublier. Je ne peux pas plus vous oublier que vous aviez pu oublier celle que vous aimiez.
...
Je n'ai pas peur, ma seule peur, c'est de ne pas vous revoir, mais j'ai confiance en vous, je sais que vous ne m'abandonnerez pas. Vous me l'avez promis, ce soir-là, après le départ d'Harry, lorsque je suis revenue vers vous. Ils vous croyaient mort, mais je ne voulais pas me résigner, pas sans avoir vérifié moi-même... Et lorsque vos yeux se sont rouverts, lorsqu'ils se sont accrochés aux miens, avec tellement de force... j'ai cru mourir de bonheur. J'aurais tellement voulu pouvoir vous sauver ! Je vous ai supplié de rester avec moi, et vous, pour la première fois, vous m'avez appelée par mon prénom, et vous m'avez juré que de là où vous iriez, vous seriez toujours près de moi. Etait-ce l'aveu que je ne vous étais pas si indifférente ? Ou n'était-ce que de la pitié pour la jeune-fille qui vous suppliait de ne pas la quitter ? Mais je veux croire à ce que j'ai lu dans vos yeux, alors. On ne ment pas dans ces moments-là. Vous m'avez demandé de vivre. J'ai essayé. J'ai essayé pendant dix-huit ans, mais je n'ai plus la volonté de continuer. Pourrez-vous me pardonner professeur ? Me pardonnerez-vous comme elle vous a sûrement pardonné ?»

Je te porte dans moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant