un onzième chapitre

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Chapitre 11

À onze ans, lorsque j'ai appris que mon père n'était pas réellement le mien, que ce monde insouciant dans lequel j'étais plongée ressemblait trait pour trait au chaos désespérant, j'ai commencé à pleurer.

Avant, je ne pleurais presque jamais. Même quand je me cognais l'orteil, faisais une chute de deux mètres ou me retrouvais à subir une chirurgie terrifiante. Le dentiste ne m'a jamais fait peur et les contrôles foirés me faisaient plus gigoter que larmoyer.

Aujourd'hui, à ma grande surprise, je n'ai pas pleuré. Je suis juste restée muette pendant toute une longue journée, je n'ai cessé de regarder les vagues qui grignotaient l'espace. Je n'ai pas porté attention aux couples qui se tenaient la main, les jeunes qui riaient sur la plage. J'ai fermé mes yeux au monde pour me reconcentrer sur le mien.

J'ai réfléchi à toutes mes options pendant de longues heures. Les oublier ou les rechercher ? Je les ai trouvés encore plus égoïstes que moi sur le coup, partir comme ça, comme si de rien était. J'ai mal, vraiment mais j'espère au fond de moi que ça ira mieux avec les heures passées à tout contempler.

La Reina de tous les jours les chercherait sans hésiter, analyserait tous les plans des régions pour trouver un moyen de les joindre. Elle les aurait appelés jusqu'à ce qu'ils décrochent, changerait même de numéro pour tenter le tout pour le tout.

Mais ce soir, je n'ai plus rien de la Reina normale. Je me sens mal, dépitée. Quelque chose d'amer me brûle la gorge, un monstre immonde et obscur prend possession de mon cœur. Je suis redevenue la terrible Reina qui perd espoir.

Qu'on ne s'étonne pas si je ne pipe plus aucun mot. Je n'en ai plus le courage, ma flemme est si intense que mes yeux clignent de lassitude. « Tu iras mieux avec le temps. » m'a dit un jour mon ancienne meilleure amie. Cette phrase m'interroge absurdement. Alors pourquoi mon père n'allait pas mieux et avait coupé les ponts avec le temps ? Est-ce que j'irai réellement bien avec les minutes qui défilent indéfiniment ? Après tout, ce n'est qu'un gars et une fille. Ce ne sont que des inconnus. Tout ça en tête, il ne me reste plus qu'à me reconcentrer sur toutes ces choses qui font de cette fuite une vraie chance.

J'ai déchiré le coquelicot du carnet, en repassant devant le champ, sur mon chemin. J'ai plongé tous ces coquelicots dans ma haine.

À qui la faute ? Eux bien sûr. Et pourtant une partie de moi me crie que c'est encore moi qui ai tout foutu en l'air, qui ai tout gâché. La nuit où Oli' a fait son overdose, et si je l'avais attendue derrière le cimetière, et si j'avais envoyé un message tout con pour lui rappeler que je serais toujours là pour soutenir le poids de son deuil trop grand. Non, j'ai préféré penser à ma petite vie, au deuil inexistant de mon père et toute cette histoire de suicide qui m'obsède chaque jour. J'ai peut-être excessivement fait la maligne hier, peut-être qu'il ne m'a pas prise au sérieux avec toute cette distance que j'ai voulu créer. Je divague quand j'y repense et me blâme. Et ça me fait encore plus mal.

Avant, ma meilleure amie était la fille qui voulait bien me réconforter, qui me consolait quoi qu'il puisse m'arriver. Là, il ne me reste plus que la mer, le monde maladroit et l'océan de ses yeux dans ma pensée.

« Je veux mourir. »

Je l'ai chuchoté à moi-même. Et d'une force implacable, j'ai retenu mes larmes. Je les ai dits, les trois mots qui ont tué mon père. Je les ai dits, les trois mots imprononçables.

Prise d'un violent haut-le-cœur, je comprends l'ampleur de ce que j'ai fait. J'ai flanché. La mort n'a jamais été une solution pour moi. Perdre la vie un jour m'a toujours motivée pour la vivre de façon à ce que je l'aime. J'ai toujours cru en la vie et en après avoir prononcé ces mots, je regrette.

Non, je n'ai pas envie de mourir. Loin de là finalement. Mais je vais tellement mal maintenant que la mort me semble tellement plus simple à supporter. Et si c'était ça la clé de tout ce mystère ? Et si c'était la réponse au pourquoi du comment ?

Cela fait six ans que je connais la terrible vérité. Six ans que j'ai eu l'espoir d'avoir un lien quelconque avec mon père décédé. Six ans, que je pense au sourire qu'il aurait pu m'accorder en me bordant au lit. Imaginez-le me tendre sa main dans la rue, m'apprendre à pédaler, m'enseigner comment survivre dans ce monde qui m'est hostile. Je le vois m'ébouriffer les cheveux sous l'eau de pluie, me crier d'aller au lit en vérifiant si je dors paisiblement perdue dans mes rêves. Je crois en tellement de choses avec ce fantôme paternel. Je pense aux yeux fiers qu'il aurait eus en me voyant finir mes études, trouver un boulot, fonder ma famille. J'aurais aimé avoir tout ça. J'aurais aimé voir sa brosse à dent dans la salle de bain, j'aurais tout voulu pour pouvoir grandir sans avoir l'impression d'avoir perdu une partie de mon identité.

Et ce sentiment qui me hante, cette rage qui m'étrangle. Je le ressens, là, tout de suite à cause de ces trois personnes qui n'ont pas longuement existées dans ma vie mais qui ont tant bouleversé mon quotidien que j'en arrive à dire les trois mots interdits.

L'océan devient de plus en plus calme, sous les étoiles. Il ne reste plus que ces vents assourdissants, la morosité et la beauté de l'endroit.

Reina Lyange se sent mal-aimée, coupable et abandonnée.

Elle n'a plus rien, et c'est pour ça qu'elle s'est décidée de partir cinq fois sans hésiter. Cinq fugues qui n'ont jamais vraiment pu soigner ce qu'elle est ou a été. Et sous ses airs farouches et rebelles, se cache une solitude extrême.

Seule, encore.

« Ce ne sont que des inconnus de toute façon. »

Et j'ai compris, d'une façon si tordante que j'aurais pu lâcher les plus grosses larmes de la Terre. Maman m'a toujours répété que je ressemblais beaucoup à papa.

Faibles, voilà, notre point commun.

Et le grand Lyange s'est décidé de tout plaquer pour se retrouver seul dans les vagues de l'oubli.

Mais moi, je suis différente. Je ne le ferai jamais. Car j'ai cette fugue, cette liberté, ce monde qui pourrait être à mes pieds. Parce que je suis jeune et que j'ai l'océan à bout de bras.

Peut-être qu'il faut que je corrige mes options : oublier ou me réparer ?

Mon déclic s'est fait là, encore perdue dans mes désillusions à parler d'une « Reina Lyange » qui n'est autre que moi.

Et j'en ai marre de voir le monde comme ça, à chercher à comprendre pourquoi je devrais pleurer.

J'ai recollé le coquelicot sur une page.

« Lève la tête Reina, il pleut. » dirait papa.

La pluie aurait pu être des gouttes d'encre d'espoir.

J'ai décoché un maudit sourire et me suis faite cette foutue promesse: 

Quoi qu'il advienne, je les retrouverai. 



nda: j'suis tellement désolée pour le retard, me voilà avec ce chapitre posté!

fiouuuu, c'est pas le meilleur que j'ai écrit et j'suis pas forcément incroyablement fière mais en relisant, j'trouve que le tout donne un truc intéressant.

il ne se passe rien au niveau des actions, tout se déroule dans la tête.

on avance dans l'histoire et j'suis sacrément contente sur ce point, car nib ça me tient tellement à coeur.

j'demande pas souvent ça mais, j'ai réellement besoin d'avoir votre avis à ce stade de cette lecture car je veux m'améliorer pour écrire un bouquin qui me tord le coeur. commentez un pavé, deux mots, des choses, comme vous le voulez. 


merci de me suivre encore, 7k c'est une dinguerie les nems;

et j'vous nem, elo

NibOù les histoires vivent. Découvrez maintenant