Chapitre 9 - Séléné

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Lac du Lou – La nuit de la pleine lune



Le monde est immaculé.


Séléné est éblouie par toute cette blancheur.


La neige épaisse sur les montagnes, la lumière froide des étoiles et celle plus intense de la pleine lune qui se reflète dans les eaux sombres du lac... Tout est blanc.


Même le cadavre nu d'Ismène à ses pieds.


Blanc comme la mort.


La jeune femme sent que ses orteils commencent à s'engourdir dans la neige. Elle est nue. Toute la meute est nue, prête à accomplir le rituel funèbre.


La pâleur de ces corps d'hommes et de femmes dénudés en silence forme un tableau inquiétant. Séléné pense à ses vêtements qui l'attendent dans le refuge en construction à l'autre bout du lac et, sans qu'elle sache pourquoi, cela la rassure. Ces bouts de tissu lui rappellent peut-être son humanité... Or elle a bien besoin de se souvenir qu'elle est aussi un être humain, car ce qu'elle va accomplir cette nuit n'aura rien d'humain.


Elle jette discrètement des coups d'œil autour d'elle. Son frère Célian s'est placé aux côtés de leur cousine Luna. Celle-ci le mange du regard. Son désir pour lui est tellement visible que Séléné réprime son envie de lui lancer un seau d'eau glacée. Agacée, la jeune femme tourne la tête et se rend compte que le désir qu'elle lit dans les yeux ardents de Raka est tout autre... Son envie de meurtrir Séléné n'est que trop évidente. Elle réprime un frisson et décide de se concentrer sur sa mère.


Céline, qui n'a que sa chevelure grisonnante comme parure, surplombe le corps d'Ismène. Elle fait face à la meute et chacun de ses membres semble fasciné, figé dans l'attente de la cérémonie.


— Mes enfants, mes loups, déclare-t-elle d'une voix puissante. Cette nuit, nous rendons un ultime hommage à notre chef, Ismène. Puisse la Lune la guider dans sa dernière demeure !


Dans le silence qui suit ces paroles, une magie primitive reste en suspens. La lumière de la lune, qui baigne le corps de Séléné, devient brûlante sur son épiderme. Cette brûlure sur sa peau gagne en profondeur, envahit chacune de ses cellules. Elle tombe dans la neige, terrassée par la douleur. Ses os craquent, se tordent, s'allongent ou rétrécissent. Sa peau se distend et se recouvre d'une fourrure grise. Elle a l'impression que la souffrance qu'elle ressent va emporter sa raison avec elle, ne lui laissant que la folie comme compagne. Elle tremble de tout son être. Des crocs acérés poussent dans sa gueule et, alors qu'elle veut crier au monde son tourment, ses cordes vocales se modifient et un hurlement puissant jaillit du plus profond de son corps de louve.


Elle se relève, haletante, et fait quelques pas. Ses coussinets s'enfoncent à peine dans la neige fraîche.


Elle hume une odeur familière...


De la viande.


La femelle alpha a déjà attaqué le cadavre, rognant la boîte crânienne pour dévorer le cerveau.


La louve grise saute sur la morte à son tour et déchire son torse pour atteindre le cœur.


Sur sa langue se diffuse le goût doucereux de la viande légèrement faisandée.


Elle arrache le cœur et l'entraîne un peu à l'écart pour le mastiquer tranquillement.


Le sang... Il a l'odeur du sang.


Elle frémit de plaisir.


Un grondement menaçant se fait entendre. Une louve qui a une cicatrice à l'œil droit lui fait face. Elle revendique le cœur.


La louve grise grogne bien décidée à ne pas lâcher ce morceau délicieux.


Le sien... Il est le sien...


Les deux louves se sautent à la gorge et roulent avec fureur dans la neige.


La louve grise est en mauvaise posture : la louve à la cicatrice la mord avec cruauté, l'écrasant de tout son poids.


Un autre loup s'interpose.


Il est le reflet parfait de la louve grise. Même silhouette, même taille, même fourrure. Mais c'est un mâle et non une femelle.


Les deux loups gris se liguent contre la louve à la cicatrice qui est obligée de battre en retraite. Elle rejoint le reste de la meute qui se dispute les morceaux les moins nobles du cadavre.


La louve grise s'approche de son jumeau et lui offre un bout de cœur. Ils dévorent ensemble les restes de l'organe déchiqueté.


Le hurlement sauvage de la femelle alpha met fin au rite funèbre. La meute se rassemble autour d'elle.


Les loups se mettent en mouvement.


À la suite de la chef de meute, ils gravissent les pentes enneigées, s'enfonçant plus loin dans la montagne sauvage. Les deux loups gris progressent côte à côte, se poussant mutuellement à aller de plus en plus vite.


Le vent se mêle à leur fourrure.


Leurs yeux dorés brillent dans la nuit blanche.


Vitesse... course... lune...


La louve grise hurle sa joie féroce.


Vitesse... course... nuit...


Libres.

Le Lac du Lou (dispo en livre numérique - Stories by Fyctia)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant