Le Lac du Lou (dispo en livre numérique - Stories by Fyctia)

Chapitre 10 - Séléné

Ce ne sont pas ses doigts roses, mais bien le bout de son nez que l'aube montre. Elle s'infiltre à l'intérieur du refuge en construction, surprenant une grande partie de la meute toujours endormie après sa cavalcade nocturne. Les corps nus de ses membres, redevenus humains, sont pelotonnés les uns contre les autres. Séléné se réveille en douceur... Elle est blottie contre la poitrine de Célian. Celui-ci la serre dans ses bras.

Elle observe le visage de son jumeau qui semble si serein dans son sommeil. La jeune femme a presque envie de pleurer de joie. Il l'a défendue ! Ils se sont enfin retrouvés, comme avant, eux contre le reste du monde.

Mais son bonheur est de courte durée. Célian se réveille et se détourne aussitôt, sans un mot, sans une explication, sans un regard supplémentaire. Il s'éloigne... Séléné renonce à lui courir après. Elle sait bien que cela ne servirait à rien. Alors elle se lève et récupère ses vêtements qui sont entassés dans un coin du refuge. Elle s'habille à la hâte et sort se confronter à la fraîcheur du petit matin.

Face au lac, telle une statue de granit, se tient sa mère. Céline scrute ses profondeurs, entourée de quelques mâles de la meute. Séléné comprend qu'ils ont fait disparaître les restes de sa grand-mère au fond du lac, comme c'est la tradition.

Les restes de sa grand-mère.

Des flashs de la nuit passée lui reviennent en mémoire. Le cadavre déchiqueté dans la neige. La lutte pour dévorer le cœur. Sa mère mordant le cerveau à même le crâne...

Une puissante nausée la saisit. Elle sent qu'elle va vomir. Elle a encore le goût de la viande sur ses lèvres, elle la sent à l'intérieur de son estomac. Un haut-le-cœur la fait trembler des pieds à la tête.

Elle s'enfuit en courant sans remarquer que sa mère la suit de son regard sévère.

Vite... Elle doit rentrer chez elle.

Elle ouvre le 4X4 noir avec les clefs restées au fond de la poche de son jeans. Tant pis pour sa mère, elle trouvera bien un membre de la meute pour la raccompagner. Elle démarre en trombe, les yeux aveuglés par les larmes. Elle conduit à toute allure sur les routes de montagne, se moquant du danger, se moquant de son imprudence... Le goût acide du vomi remonte au fond de sa gorge, envahit son palais.

Arrivée devant chez elle, elle court à l'intérieur du chalet, sans refermer la porte d'entrée derrière elle. Elle se précipite dans les toilettes et a à peine le temps de s'agenouiller contre la cuvette qu'elle commence déjà à vomir.

Des bruits horribles de régurgitation résonnent dans toute la maison tandis que des morceaux à moitié digérés atterrissent dans la cuvette. Un mélange de bile et de sang macule l'intérieur des toilettes, colle aux joues de Séléné, rend ses cheveux poisseux. Elle ne peut plus s'arrêter de vomir malgré la douleur qui lui arrache la gorge. Elle sanglote, la tête posée contre la céramique froide.

— Mademoiselle Lou, vous allez bien ?

La jeune femme entend une voix inquiète dans son dos. Elle se retourne et perçoit à travers ses pleurs le visage préoccupé d'Endymion. Elle se détourne pour vomir une dernière fois. L'assistant de sa mère s'agenouille auprès d'elle pour retenir ses cheveux.

— Merci, lui murmure-t-elle avant d'être submergée par une nouvelle crise de sanglots.

Le jeune homme la relève et la guide, sans un mot, jusqu'à la salle de bain. Séléné s'assoit sur le rebord de la baignoire, l'air hagard. Elle semble incapable de bouger d'elle-même. Endy hésite quelques instants... Puis, il commence à la déshabiller. Elle se laisse faire, comme privée de toute volonté. Il lui laisse ses sous-vêtements, par pudeur sans doute, et la fait monter à l'intérieur de la baignoire.

Le jet de la douche se mêle à ses larmes qui s'amenuisent. L'eau tiède l'apaise petit à petit. Endy lui lave les cheveux, le corps, la débarrassant de toutes traces de vomi et de sang. Il ne l'interroge pas. Il voit bien qu'elle n'est pas en état de lui répondre, et cela fait longtemps qu'il a compris qu'il ne faut pas trop poser de questions quand des événements étranges se produisent autour de la famille Lou.

Après l'avoir enveloppée dans une serviette de bain, il la raccompagne jusqu'à sa chambre. Il l'aide à se glisser sous sa couette épaisse, puis se dirige vers la sortie.

— Attends !

La jeune femme s'est redressée dans son lit. Elle le supplie du regard avant d'ajouter :

— Reste, s'il te plaît.

Endy passe la main dans ses cheveux, hésitant. Finalement, il attrape une chaise et s'installe près de la tête de lit. Séléné lui tend une main qu'il saisit. Elle est douce et froide. Sa main a l'air si frêle à l'intérieur de la sienne. Il la caresse pour la rassurer.

— Ne vous inquiétez pas, mademoiselle Lou, je ne bouge pas... Je suis là.

Elle contemple avec gratitude ces yeux gris qui la consolent.

— Séléné, tu peux m'appeler Séléné...

Endymion sent l'étreinte de sa main se desserrer. Épuisée, elle sombre dans un sommeil profond. Il conserve un moment sa main dans la sienne, avant de la reposer avec délicatesse sur sa poitrine.

— Séléné, murmure-t-il dans un sourire.