Je suis là. Je suis assis parmi les décombres de ce qu'était ma ville natale. Cela faisait douze ans que je ne l'avais pas vue et je n'en serai plus jamais capable. Je suis assis parmi mes frères. Tous sont morts. L'odeur putride de leurs corps en décomposition est déjà entrée dans mon masque inutile. Tout comme eux, je parais mort mais je peux encore respirer l'air contaminé par tous ces gaz toxiques qui me tueront bientôt. Je suis assis ici et j'ai refusé. J'ai cessé de me battre. Combien de vies ai-je ôtée ? Combien de familles mes mains ont-elles déchirées ? Combien d'existences mes balles ont-elles fauchées ? Je suis hanté par la réalisation. Mon esprit fait défiler chacun instant de cette guerre impitoyable, me rappelant que nous sommes ceux qui la rendent ainsi. Je baisse la tête. J'arrive légèrement à voir mes mains pleines de boue et de sang qui ne m'appartient pas. Je suis un meurtrier. Je ne rentrerai jamais chez moi. Comment regarder ma mère dans les yeux alors que ceux d'une autre femme quelque part pleurent par ma faute ? Je suis assis et j'attends. J'attends que le peu de vie en moi s'en aille et que mes regrets et remords continuent à me hanter pour l'éternité. Cette guerre nous rend tous fous. Il y a déjà deux jours que je n'ai pas mangé. Je suis assis et je guette. Je regarde autour de moi car je sais que ces instants sont les derniers. Je retire mon masque et vois enfin la fumée blanche meurtrière qui m'aura aussi. J'inspire profondément et des perles d'eau salée glissent sur mon visage. J'ai vingt ans et je vais mourir pour mes crimes. J'attrape mon arme et tire chacune de mes balles pour que jamais plus elles ne blessent. Pour que jamais plus quelqu'un ne souffre comme je le fais en ce moment. Mais je le sais. Jamais cette guerre ne cessera. Jamais les hommes n'arrêteront de s'entre-tuer pour le pouvoir, la gloire et la fortune. Ce monde est corrompu et je suis assis ici, à moitié mort, à moitié vivant écrivant cette lettre pour apaiser mon dégoût et ma rage. J'ai tué. Je suis un meurtrier et je suis assis ici. J'étais assis.
YOU ARE READING
Témoignages
Poetry"Mes regrets m'accompagneront pour l'éternité car ce n'est qu'au seuil de la vie que l'on comprend que l'on n'a pas vécu." @katheleligaf