Immortalité

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Dans la sombre forêt, loin des murmures incessants de la ville, l'homme marchait.

Ses pas le conduisaient inéluctablement vers la source de ses ennuis. Son esprit était attiré par cette douce voix, celle qui l'avait fait sortir de sa cité. Celle provenant de cette personne horrible et pourtant si attirante. Cette femme aux cheveux de braise qui ne cessait de pervertir le monde l'entourant.

Que pouvait-il faire pour résister à ces instincts le dévorant de l'intérieur comme une passion démente ? Rien. Juste se laisser avancer, perdre l'esprit, et devenir ce qu'elle voulait réellement. Un pantin sans passion, sans réflexions, sans raison.

Une personne malsaine agissant pour lui plaire. Était-ce cela qu'il voulait ? Oh, non. Il voulait garder le plein contrôle de ses actes. Ne pas se laisser distancer par cette folie consumant son environnement. La douce voix l'appelait, et il répondait. Quel faible. Ne pas savoir résister aux murmures d'une femme était indigne de lui. Un vrai soldat, un homme comme il y en avait peu dans ce monde fou, ne se serait pas laissé influencer de la sorte. Alors quoi... Etait-il devenu aussi faible que ces personnes qu'il méprisait ? Ces humains sans motivations, qui se laissaient faire ? Ceux qui obéissaient sans jamais oser se révolter ? Etait-il devenu l'un des leurs à cause de cette voix si agréable ? Avait-il cédé au péché de la paresse, abandonnant toute trace de fierté dans son immense orgueil ? Oui.

Oh que cette voix l'attirait. Le dire cent fois ne serait jamais assez. Il voulait l'attraper, la capturer. La bloquer dans une urne, et la conserver ad vitam aeternam. Continuer de l'entendre entonner sa mélopée doucereuse jusqu'au moment où son esprit ne serait plus capable d'endurer ce son éternel. Il voulait la garder pour lui, s'en emparer comme l'on s'empare d'une femme, et se rassurer avec.

Mais rien de tout cela était possible. On ne capturait pas les sons, et encore moins ceux qui n'avaient consistance dans un esprit fou.

Il n'y avait ni femme ni chanson, en réalité. Juste un délire, trop vrai pour être réel. Et un puits sans fond, au centre d'une clairière parsemée de fleurs noires, aussi sombres que la mort elle-même. Il ne le voyait guère. Et pour ce pauvre fou, rien n'était plus beau que la femme incohérente. Celle qui lui faisait face dans son esprit abimé. Celle qui se trouvait à l'emplacement même du bruit. En voulant la prendre dans ses bras, subjugué par ses atouts sans égaux, il tomba au plus profond du trou. Loin de la réalité, dans les méandres de l'enfer. Et de cela, il ne s'en rendit pas compte. Car la voix continuait de lui chanter une chanson.

Car la folie l'empêchait de voir la mort. C'est cela, que l'on appellera l'immortalité. Ce borner dans une idée sans fondement, sans consistance, mais si agréable et plaisante que l'on ne peut s'en défaire. En se croyant en la compagnie de la plus belle femme au monde, celle qui l'avait dompté au plus profond de son âme, il s'était cru libéré des chaînes du destin.

Plus rien n'avait d'importance.

Pas même la réalité.

Pas même la mort.

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