Partie 1 - Le zéphyr

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La capitale s'éveille à peine. Fèdre encore enlacée dans les bras de ses rêves est immobile sur son grand lit. Trop tôt pour se lever. La solitude peut encore attendre. La chanson de son réveille-matin est minutieusement programmée à 9h30. Mais les poubelles s'activent dans la rue. C'est jeudi, la récupération des verres. Ce capharnaüm lui parvient aux oreilles. Elle fronce les sourcils, échappe un grondement urbain, se retourne, attrape son portable : 7h33. Hors de question d'adopter la position verticale à une heure pareille. Rapidement elle se remémore ce qu'elle doit faire aujourd'hui : rien. Rien de particulier. Pas de rendez-vous, pas d'audition. Donc rien.

Elle retourne son coussin, étire ses jambes, cambre son bassin, pousse un dernier râle en tentant de se rendormir. Elle entend alors une voix profonde qui lui dit :

- Tu devrais te lever.

- Quoi ?... Mais qu'est-ce-que tu racontes il est trop tôt. Et puis on a rien à faire.

La même voix reprend :

- Tu devrais te lever.

- Laisse-moi tranquille Lintuition, j'ai sommeil, baille Fèdre.

- Feignante ! lui répond une voix pointue.

- Ta gueule Larabajoie rétorque Fèdre du tac au tac. Je suis pas une feignante soupire-t-elle.

- Oh si une feignante et une trouillarde, ajoute la voix pointue.

- C'est faux, murmure Fèdre contrariée.

Lintuition lui susurre alors dans un grand calme : « C'est aujourd'hui. Il va se passer quelque chose aujourd'hui ».

Les grands yeux bruns de Fèdre s'ouvrent alors et les battements de son cœur s'accélèrent comme quand elle a le trac. Cette réaction la surprend. Aucune audition de prévue pourtant, quelle étrange manifestation.

Soudain les images de son rêve lui arrivent... elle avait des seins superbes, gonflés, tendus, le soleil inondait une maison, autour de la table sa famille était réunie, sa mère Andromak, sa grand-mère Arissie, sa tante Ether et dans un coin, accroupie, sa sœur Bérénisse, isolée, floue, muette mais présente. La discussion était vive entre toutes ces femmes. Fèdre les écoutait arbitrer une décision importante. Puis toutes buvaient du vin en mangeant des gâteaux et de la viande de bœuf.

Voilà son rêve ! Que fallait-il comprendre de tout ça ?... Interloquée par ce rêve étrange et à la fois agréable, Fèdre repousse sa couette et sort de son cocon douillet. Elle sourit à son lit, impatiente de le retrouver ce soir.

Par la fenêtre, l'hiver se la coule douce. La lumière est pâle, les derniers réverbères s'éteignent. Elle frissonne, enfile des chaussettes trop grandes et glisse ses pieds sur le parquet doré.

Un verre d'eau, la bouilloire qui frémit, le thé dans le bol transparent, un jus de fruit, une banane, les céréales caramélisées, le petit déjeuner classique d'une femme qui veut conserver sa ligne. Fèdre est une buveuse de thé. Le Sencha reste son préféré avec ce goût de foin qui la transporte immanquablement dans une grange. Une fois son petit déjeuner préparé, elle descend chercher son courrier de la veille et remonte le dépiauter entêtée par la voix de Lintuition : « C'est aujourd'hui. Il va se passer quelque chose aujourd'hui ».

Elle passe en revue tout ce papier et ne peut s'empêcher de remarquer les entêtes identiques, les couleurs semblables. Décidément la surprise n'est pas de mise. Soudain au milieu de toutes les publicités, une enveloppe très blanche avec le logo du théâtre Mogador. Elle n'a pas réservé de places. Ses finances actuelles lui interdisent toute sortie supérieure à cinq euros. Qu'est-ce qu'ils lui veulent ?... Serait-ce une réponse à la multitude d'annonces de figurations auxquelles elle a répondu le mois dernier ?... Impossible, ils ne répondent jamais par courrier. Ils ne répondent jamais tout court. Et puis Mogador n'était pas mentionné. C'est vrai que certaines productions ne précisent pas tout. « Cherche figurants, type caucasien, 30 à 65 ans, disponible la nuit. Envoyer photos à lksj235mi@gmail.com. »

Fèdre avec un FOù les histoires vivent. Découvrez maintenant