Au fond du jardin, sous le haut mûrier centenaire, une mare profonde formait un gros haricot rouge. Même rare dans cette région du sud, la pluie et un long tuyau jaune serpentant dans le gazon, contribuaient à la remplir. Elle avait été creusée par les propriétaires précédents, longtemps, longtemps avant l'arrivée d'Arissie. Aucun poisson n'y avait jamais survécu. Plusieurs jardiniers férus d'aquariophilie avaient tenté de comprendre. Ce n'était pas l'eau puisqu'elle venait du puits et que tout le monde s'en délectait. Pas le sol non plus, il donnait au potager une production succulente. Certains avaient même analysé le vieux mûrier qui nourrissait pourtant goulument tous les vers à soie amenés par les enfants du quartier et des alentours, dans des boîtes à chaussures improvisées. Les papyrus qui la bordaient, expertisés eux aussi, furent déclarés innocents. Chacun avait donc fini par classer cette histoire dans les mystères de la nature.
C'est dans cette mare étrange qu'Andromak avait retrouvé le jeune corps inanimé de sa fille Bérénisse. Le jour de son vingtième anniversaire. L'enquête avait abouti à une noyade par accident dû sans doute à un évanouissement profond. Durant l'interrogatoire, Andromak avait reconnu que sa fille cadette était distante ces derniers mois. Elle, si proche d'habitude, si enjouée et légère. Elle parlait peu, préoccupée à autre chose mais à quoi ?... Andromak se trouvait tellement coupable de n'avoir pas fouillé davantage dans la vie de sa fille, préférant avoir choisi de respecter son intimité. L'autopsie avait confirmé, aucune blessure, aucune trace de drogue ou d'alcool. Ce n'était pas un suicide non plus. Dans un sang froid exemplaire Andromak avait appelé les pompiers. Quand ils soulevèrent la jeune Bérénisse, sa robe blanche et la lumière on aurait dit une mariée. Andromak s'était doucement approchée et avait embrassé sa fleur coupée sans âme. En se retirant, elle remarqua l'absence du collier. Elle le chercha partout après l'enterrement. Fèdre effondrée de chagrin, était descendue de la capitale abandonnant durant quelques jours le conservatoire. Elle aussi ignorait où ce collier pouvait bien être. Bérénisse ne le quittait à aucun moment. L'aïeule, Œnone de Racine comme on la nommait dans la famille, réalisa à l'époque un tour de cou avec une perle transparente très pure et un ruban de soie fin pour formé l'attache. Elle l'avait offert à sa fille Fèdre. Cet original avait disparu dès la génération suivante mais depuis, chaque descendance recevait un collier semblable de sa mère. Autant de naissances autant de colliers. Les deux filles d'Andromak avaient chacune le leur, identique. Personne ne retrouva jamais celui de Bérénisse après sa mort.
Le mois d'octobre touche à sa fin, on a parlé d'été indien, les trottoirs sont étonnamment secs à cette période. Seules quelques feuilles brunes et chiffonnées se disputent la dernière brise.
Quand il arrive au théâtre Mogador pour répéter, le jeune Raphaël transporte une fébrilité indicible et de grandes boucles noires brillantes qui oscillent à chaque acquiescement. Mince comme un spaghetti, les lèvres charnues rouge prune, son sourire étincelle autant que son regard mobile et curieux. Une main éloigne régulièrement une boucle trop longue qui s'acharne à retomber sur son œil comme pour jouer avec la longueur de ses cils. Dans son sac en bandoulière, au milieu de son texte et de mille autres objets actuels, une minuscule bourse en organdi noir dans laquelle on voit en transparence, une pierre de jade blanc transpercée par un fin ruban aux reflets améthystes.
Il est en retard et ce n'est pas la première fois. Il joue le rôle d'Hippolyte, le beau-fils de Phèdre dont elle est follement éprise malgré elle.
Sur le plateau, autour de l'immense olivier qui trône au centre en vrai maître, les instruments occupent le côté jardin, les hauts récipients en bois et les pilons attendent coté cour, tandis que les comédiens, danseurs, musiciens et techniciens s'affairent à leurs tâches dans tous les sens. Raphaël se glisse entre les uns et les autres, ni vu ni connu, et se met à marcher simulant un long échauffement.
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Fèdre avec un F
RomanceFèdre, comédienne méconnue, est convoquée au casting prestigieux d'une comédie musicale. Or, elle ne sait ni chanter ni danser. Paniquée par l'audition qui a lieu le lendemain matin, elle s'impose une réunion de chantier en convoquant d'urgence son...