quatrième nuit

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L'adolescence.
Tout vient de là. Sauf pour moi. Ça part de plus loin. Ma naissance moins l'infini ; j'étais destiné à cette vie. Ça remonte à la création de l'univers, tant est qu'il y en ait une. Au fin fond de cet amassé de rien, j'étais déjà là. Sous forme d'atomes, de petit grain de poussière d'étoiles, de vide.
Plus jeune, j'ai cru que j'avais foiré ; un truc s'était mal assemblé, je rentre pas dans le moule, merde, qu'est-ce qui cloche ?
Mais j'suis fait pour ça, j'suis né pour ça, j'vais crever pour ça ; la tristesse.
Ça devrait me faire peur de m'avouer ça à moi-même, d'être aussi fataliste, mais d'un côté, c'est réconfortant de savoir ce qui nous attend.

J'entends la pluie qui tape sur les volets. Presque des applaudissements ; j'divague.
J'ai besoin d'elle. J'l'attrape, j'ai les doigts qui tremblent, j'l'embrasse presque.
Je l'allume ; soulagement, ça brûle, fumée qui pique, j'frotte : une nouvelle excuse pour avoir l'œil humide. J'suis au summum, capitale d'ma douleur ; ça fout tout en l'air, mes barrières, mes résolutions et j'me retrouve à chialer comme un chien, en chien de fusil, la langue pendante, la bave aux lèvres et ses putains de côtes qui ressortent, encore et encore, toujours plus, elles transpercent ma peau. Et puis cette odeur de charogne, de viande avariée, de mort et putain, ça schlingue, c'est dégueulasse. J'essaie de retenir mes gémissements mais c'est de plus en plus dur. Je me refuse à crier. Je « hurle en silence », moi ? Non, je garde le peu de fierté qu'il me reste, je n'inflige pas aux autres le dégoût d'un corps à moitié mort.

« A Gala
ce livre sans fin »

Des bribes de poèmes devant mes yeux, des tickets de caisse, des notices de jeux, des instructions Ikea, étiquettes d'emballages, pièces de théâtre, programme télé ; mes yeux qui se ferment, moi qui m'arrête, c'est fini.
« Les yeux sont les miroirs de l'âme. » Enfin quelque chose de concret. J'ferme les yeux, tout va bien, tout est fini, plus de bordel, plus de bruits, plus de sentiments, plus de pensées, juste moi, ma cigarette éteinte.
Si je les rouvre, je me noie.


« ... Non mais, déconne pas, si tu connaissais vraiment Harry Potter, tu saurais que le personnage central, c'est Rogue.
- Mais n'importe quoi, c'est Voldemort et Harry, les plus importants !
- Tu racontes vraiment que de la merde, Rogue c'est LE plus important. Le mec a fait toute sa vie en fonction de Lily, il a même changé son patronus pour elle. Il prend soin de son gamin alors qu'il le hait ; c'est lui qui sauve Harry tout le long, pas Dumbledore ! C'est lui qu'est en infiltration, je-... je sais pas comment t'expliquer mieux que ça, c'est le meilleur, c'est tout.
- Ça te tient à cœur dis donc.
- Toute mon enfance. »

On a continué à parler comme ça encore quelques minutes. Moi, j'étais assis devant ma fenêtre, torse nu, tremblant, fumant, souriant. Elle, je sais pas ; parfois je l'entendais se lever, s'affaler, boire. Je lui demandais alors ce qu'elle faisait, dans quoi elle travaillait : « ne jamais mélanger le privé et le professionnel, Ken. »
Alors on continuait.
Je raccrochais au bout d'un moment.
De nouveau seul.
Et ça recommençait.

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rougecarmin
merci pour tous tes petits (longs) messages d'encouragements (particulièrement en ces temps difficiles hein)
t'es lpb 💖🖤

l'Amour est mort en basOù les histoires vivent. Découvrez maintenant