Le jour commence à battre des paupières sur la petite ville de Célestia. La brume épanche son voile laiteux et cache peu à peu le regard du soleil. Elle se pâme insidieusement autour des cités et empanache la cime des arbres comme de la barbe à papa : les épines de pin s'amusent à tricoter avec ses fils cotonneux. C'est l'automne. La fumée des cheminées exhale ses senteurs exquises. Doucement, le pas velouté des chats de gouttière fait croustiller la tenture des feuilles rousses tandis que les pavés scintillent sous la rosée du soir. Deux vieilles dames que le crépuscule a surpris, se hâtent de regagner leurs pénates alors que les ombres encapuchonnées pénètrent dans des endroits peu recommandables.
Célestia s'étire en longueur. Coincée entre la lisière d'une forêt et un éperon rocheux, elle se distingue par une étrange maison à califourchon sur deux piliers de pierres. C'est la demeure de Miette. Jadis, cette grande bâtisse était un moulin à eau. Cependant, sa roue à aubes a disparu. Aujourd'hui, elle donne cette impression étrange de tenir en équilibre dans le vide. Vêtue d'une robe en moellons, elle est décorée de fenêtres cintrées, ornées de carreaux en losange et d'oeils de boeuf. Des tours au sommet pointu s'élancent vers le ciel et se constellent d'étoiles.
Alors que la nuit berce Célestia, Miette ignore que sa vie va changer du tout au tout en une fraction de seconde. Couturière de profession, elle n'a jamais connu le bonheur d'être mère. Ses petits doigts ne savent que broder, coudre, filer, raccommoder. De la jupe à froufrous au costume trois pièces, Miette a des mains de fée. Jamais elle ne prend le temps de sortir, ni même de trouver un mari. Miette est pourtant une belle femme. Ses longs cheveux blonds soulignent un visage arrondi et des yeux d'obsidienne.
"Soudain, alors que le plancher craque malgré l'humidité ambiante, quelqu'un gratte à ma porte. Comme une petite souris, le timbre est feutré, délicat. Je suis inquiète. Jamais personne n'est venu me réclamer commande à une heure si tardive. Alors que je tends l'oreille comme pour mieux percevoir les bruits, mon coeur se serre à l'écoute de petits gazouillis. A peine ai-je le temps de débloquer le loquet que je découvre deux enfants emmaillotés dans un linge. Surprise, mon regard balaie les alentours. Je longe l'allée d'aubépines, appelle, crie, mais personne ne me répond. Comprenant qu'il vaut mieux que je m'occupe des enfants, les réchauffer et les nourrir, je reviens sur mes pas. Ils ont la peau opalescente et des cheveux épars aussi dorés que le pain à peine sorti du four. De grands yeux émeraude illuminent leur petit minois. Au moment où je m'apprête à les prendre dans mes bras, un rayon de lune perce la brume et se dépose sur leur front. Je comprends alors que les deux enfants ne sont pas comme les autres..."
Cette histoire, tante Miette nous l'a racontée un millier de fois. Elle dit que nous sommes nés de l'amour d'un homme et d'un rayon de lune. Elle le sait car, ce soir-là, les étoiles qui couronnaient notre maison, le lui ont murmuré.
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Tout ce que je ne t'ai jamais dit
Romance" Vous êtes nés de l'amour d'un homme et d'un rayon de lune... " Miette, jeune femme célibataire, reste chevillée à cette légende. Elle sait que c'est l'unique façon de justifier l'étrange lien qui unit les deux enfants qu'elle a recueillis, il y a...