Chapitre 2

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Allongé sur le dos, je regarde un rayon de lune obliquer sur le front de mon frère. Ses yeux sont couturés, néanmoins, je sais qu'il ne dort pas. Je caresse doucement le bourrelet de chair qui scarifie ma main, terrifié par la multitude de questions qui m'assaille. Comment un tel phénomène peut-il exister ? Pourtant, Noam et moi vivons régulièrement des moments atypiques, lorsque d'un regard, nous parvenons à comprendre ce que l'autre veut dire. C'est ce langage qui nous caractérisait tant lorsque nous étions enfants et qui nous éloignait davantage des autres. Mais ce sang... « La lune aussi possède une face cachée ». Les mots de Miette déferlent dans ma tête en cascade. Ils se mêlent, se chevauchent, s'entrechoquent. Quel genre de personnes sommes-nous ? Pourquoi donner tant d'importance à cette histoire d'enfants de la lune alors que nous y prêtons de moins en moins d'intérêt ? Est-il réellement possible que l'astre exerce un tel pouvoir sur nous ? Sommes-nous véritablement ce que tante Miette prétend: des enfants nés de l'amour d'un homme et d'un rayon de lune ?

Absurde !

- Tu dors ? me murmure Noam.

Son visage pâli par la gloire de l'astre le fait ressembler à un ange. Il repousse une de ses mèches de cheveux et inconsciemment, je mime le même geste.

- Comme si tu ne le savais pas !

Il se lève alors de son lit, vient s'asseoir sur le mien puis me fixe avec attention. Puis, je lâche subitement :

- Quelle sorte de monstres sommes-nous ? Noam sourit.

- Pourquoi « monstre » ? me demande-t-il.

- Tu sembles si serein !

- Je ne le suis pas. Cette histoire m'inquiète tout autant que toi, mais...

- Si tu tombes dans l'escalier et que tu te casses une jambe, c'est moi que l'on va plâtrer ?

Je soupire devant l'absurdité de la conversation. Noam et moi ressentons et vivons les mêmes bonheurs, les mêmes chagrins. Evidemment que je vais souffrir, mais de là à dire que l'on va me plâtrer à sa place ! Pourtant, l'image de sa main baignant dans le sang m'obsède et ébranle toutes mes croyances. J'ai tellement cru l'avoir blessé que mon estomac en est retourné. Je me sens nauséeux et la bile me remonte jusque dans la gorge. Noam et moi ne faisons qu'un et cet incident devrait me conforter dans cette optique. Toutefois, je n'arrive pas à me dire que tout ceci n'est que le résultat de ce que nous sommes. Je suis lui. Il est moi. Impossible de nous différencier. Il est ma conscience, il est ma confiance. En tous cas, je l'ai toujours pensé...

Lorsqu'il retrousse son nez, je sais qu'il va plaisanter. Je le sais car j'ai la même mimique. Ce que je dis, ce que je fais, Noam le dit, Noam le fait. Nous sommes comme deux gouttes d'eau.

- A moins que tu ne me fasses un croche-pied, je ne vois pas pourquoi je tomberais dans les escaliers, reprend-il, sur un ton amusé.

Je hausse les épaules, faussement grognon.

- Je crois que ce qui nous arrive est une chance inestimable, frangin ! Alors que d'autres s'évertuent à vivre leur vie en tant qu'élément unique, nous, nous avons cette superbe opportunité d'être une seule personne dans deux corps différents et pourtant semblables ! Imagine tout ce que nous pouvons accomplir ! Nous sommes forts, Eliott, très forts.

Mon frère sourit, rassurant. La lune s'est fixée dans l'axe de notre lucarne. Elle la remplit et ne forme qu'un seul corps avec elle. On la dirait accrochée au mur.

- Miette avait l'air de savoir quelque chose à ce sujet. Tu ne trouves pas étonnant son « non, pas ça, pas ça... » ? Nous devrions lui en parler davantage.

- Pas question ! se braque-t-il.

Les traits de son visage se durcissent et un éclair de fureur traverse son regard.

- Ne l'affolons pas, reprend-il, soudainement plus calme en voyant mon air horrifié.

- Mais je suis sûr qu'elle en sait plus que ce qu'elle veut bien nous en dire ! J'ignore si je suis convaincant, mais Noam reste silencieux.

- Ça... ça me rassurerait.

- Non, finit-il par dire. On ne ferait que l'inquiéter davantage. N'as-tu pas remarqué l'état dans lequel elle se trouvait ? Ne l'impliquons pas dans cette histoire et n'impliquons personne d'autre, d'ailleurs !

- C'est un secret ?

- Pour sûr que c'est un secret. T'imagines la tête des autres s'ils apprenaient un truc pareil. Ils ne comprendraient rien et nous prendraient encore plus pour des extra-terrestres ! Ca reste entre nous, à la vie, à la mort !

- A la vie, à la mort ! Nous crochetons nos deux auriculaires et nous répétons la phrase plusieurs fois, comme pour sceller notre pacte. Une habitude de gamin qui nous est restée.

La lune veille sur nous, dans un éclat ivoirin et je me demande si Miette n'a pas raison. Noam regagne son lit et s'enveloppe dans sa couette. Peu à peu la nuit tombe sur nos paupières et nous sombrons, conscients que, désormais notre vie ne sera plus jamais la même.

Tout ce que je ne t'ai jamais ditWhere stories live. Discover now