Novembre. Je m'appelle Eliott. Noam et moi sommes jumeaux. Nous nous ressemblons comme deux gouttes d'eau. Impossible de nous différencier. Nos cheveux ont le même reflet ambré, nos yeux le même ciel constellé d'émeraudes et la même fossette creuse notre joue. Nous sommes notre propre reflet. En parfaite symbiose, nos deux prénoms sont associés l'un à l'autre pour le meilleur et pour le pire. Je suis lui. Il est moi. Mon âme frère. Liés par une force qui dépasse l'entendement, des choses étranges se produisent en nous. Nous sommes une seule et même entité dans deux corps différents. Nous marchons d'un même pas, réfléchissons d'une même pensée. Cette relation privilégiée nous enserre dans une bulle et nous offre une complicité sans égale. Nous le savons, nous générons la fascination. A l'affût du moindre signe distinctif, le regard des autres va et vient de l'un à l'autre, captivé. Ils cherchent désespérément une cicatrice, un grain de beauté, une coquetterie dans l'œil... Mais nous ne sommes pas une vulgaire réplique, ni même une contrefaçon de l'original. Il n'existe pas d'original. Nous sommes un divisé en deux. Quand bien même mon jugement se heurte à celui de mon frère, il en résulte toujours une sorte de complémentarité évidente. Aussi, lorsque l'œil hagard de Clovis, notre meilleur ami, nous jauge comme s'il nous voyait pour la première fois, nous comprenons immédiatement qu'il ne sait plus à qui il a confié la courroie de transmission. A chaque fois que disparaît de son regard la lueur d'espièglerie, nous savons qu'il est en train de vivre un grand moment de solitude. Essuyant nonchalamment ses mains pleines de cambouis sur un chiffon, il hésite avant de manifester son agacement.
- Les gars, je déteste quand vous me faites ça !
Certain d'avoir confié la sangle à Noam qui se tenait à sa droite, l'objet est miraculeusement apparu à sa gauche dans la main de l'autre jumeau. L'air innocent, je hausse les épaules.
- Non, non et non ! Que vous fassiez ça avec les profs ou les autres du bahut, je m'en contrefiche, mais pas avec moi ! C'est déjà bien assez frustrant de ne pas vous reconnaître dans la vie de tous les jours, alors si, en plus de ça, vous jouez avec mes nerfs...
- Je ne vois pas de quoi tu parles ! dis-je, ingénu.
Clovis me foudroie du regard puis balance le chiffon sur l'établi. Fouillant dans sa boîte à outils, il en sort un instrument dont j'ignore tout jusqu'à son utilité et nous défie en le balançant d'une main à l'autre. Nous étouffons un rire. Clovis lisse une mèche de cheveux d'un coup de pouce, puis se balance sur les talons.
- O.K, les gars, vous cherchez la bagarre ?
Nous voyant littéralement effondrés de rire, Clovis est incapable de poursuivre son petit manège, un léger rictus étirant ses lèvres. Jetant l'outil au sol, il s'approche de moi, m'arrache la courroie des mains et replonge la tête dans le moteur du kart.
- N'empêche les gars, ce petit bijou unique en son genre n'existerait pas sans moi ! s'écrie-t-il, à moitié grognon.
En effet, Clovis a réussi le pari fou de nous bricoler un kart biplace pour que nous puissions, mon frère et moi, concourir ensemble et non pas l'un contre l'autre. Au sein des organisations de la cité et de son agglomération, cela ne posait aucun problème. En général, les karts sont de petites voitures monoplace à quatre roues équipées d'un moteur de petite cylindrée pouvant développer jusqu'à trente chevaux, ce qui en fait un engin de course très compétitif. Mais Clovis est un as en la matière. Non seulement nous pouvons être deux dans le bolide mais en plus, il est parvenu à nous rajouter quelques chevaux, grâce à la combinaison de plusieurs moteurs. Les pneus, beaucoup plus larges que sur les autres karts, nous permettent une meilleure adhérence et son châssis issu essentiellement de matériaux de récupération, est d'une solidité incomparable. Grâce à notre ami et sa « boîte à savon », mon frère et moi sommes les meilleurs pilotes de karting de Célestia. La difficulté résidait, toutefois, dans l'équilibre du véhicule en mouvement. Il était primordial que nous soyons l'un derrière l'autre et non pas, l'un à côté de l'autre, pour que nos deux corps ne fassent qu'un et suivent l'inclinaison des virages.
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Tout ce que je ne t'ai jamais dit
Romance" Vous êtes nés de l'amour d'un homme et d'un rayon de lune... " Miette, jeune femme célibataire, reste chevillée à cette légende. Elle sait que c'est l'unique façon de justifier l'étrange lien qui unit les deux enfants qu'elle a recueillis, il y a...