« Tout a commencé en juin. Les étudiants étaient déscolarisés, pour réviser leurs examens. Nous, élèves de seconde, n'en avions pas. Alors nous sommes restés en cours, jusqu'à la fin du mois. Le lycée était calme et nous l'étions aussi. Malgré l'approche des grandes vacances, tant attendues, nous restions sages pendant les cours. Nous avions toutes les raisons de ne plus rien écouter, de se moquer du programme scolaire inachevé et de revendiquer des goûters de fin d'année aux professeurs. Mais nous étions imperturbables dans notre travail. Et nous étions calmes.
Du moins, en apparence. De ma place, je pouvais observer les visages anxieux et crispés de mes camarades de classe. Une atmosphère terriblement lourde, à la fois inquiète et mélancolique pesait sur nous. La voix du professeur était souvent déstabilisée par ce silence, presque morbide. Mais il n'en disait rien. Il devait penser qu'en parler ne ferait qu'aggraver la situation. Alors il n'en parlait pas. Et nous non plus. Nous ne parlions pas.
Il y a trois jours, elle s'était évanouie dans le couloir. Des ambulanciers sont venus et l'ont déposée sur un brancard. Elle était blême et inconsciente. Ils l'ont emmenée avec eux. Elle n'est pas revenue.
Il y a trois jours, elle a été déscolarisée plus tôt que nous.
La sonnerie a retenti. Le professeur rangea ses affaires et fuit rapidement cette classe inerte, abattue, décolorée. La journée était finie. Je rangeai mes affaires. Ça faisait quatre jours aujourd'hui.
Je me rendis à l'hôpital. C'était devenu ma routine. Chambre 28. Je frappai à la porte. Elle me répondit, de sa voix douce mais affaiblie. J'entrai. Les rideaux de sa chambre étaient tirés. Elle m'expliqua que c'était à cause de la chaleur de l'extérieur. Le soleil risquait de surchauffer la pièce et cela pouvait être dangereux. Je ne répondis rien et me contentai de lui sourire. Je m'assis à côté du lit dans lequel elle était allongée. Près d'elle, je pouvais entendre le râle qui s'échappait de ses pauvres poumons.
Nous avons discuté pendant une ou deux heures. Je n'ai pas la notion du temps lorsque je suis à ses côtés. Notre conversation aurait bien pu durer trois jours, je ne m'en serais jamais lassée. Elle m'expliquait la routine de l'hôpital. Elle me racontait comment elle avait réussi à se lier d'amitié avec le garçon de la chambre d'à côté. Je lui souriais, sans jamais lui parler du lycée. Je savais que la classe, les professeurs et la sonnerie qui marque la fin des cours, lui manquaient terriblement. La plupart du temps, je me contentais de l'écouter et de lui sourire. Souvent, elle se perdait dans son monologue. Et parfois, elle me souriait en retour. Je sentais mon coeur battre joyeusement dans ma poitrine, dans ces moments-là.
Mais je n'oubliais pas qu'elle était là, parce que le sien était fatigué. Alors je perdais mon sourire. Je crois qu'elle le remarquait, mais n'osait rien dire. Elle enchaînait sur une autre anecdote, un nouveau ragot, pour me changer les idées. Alors que c'était elle la première concernée.
Ce jour-là, après avoir discuté avec elle pendant de longues heures, je sortis de sa chambre en lui promettant de revenir demain. Elle me répondit que je n'avais pas besoin de lui rendre visite tous les jours. Je lui rétorquai que ça me faisait plaisir. Que c'était ce qu'une meilleure amie devait faire. Elle a paru sourire. Mon coeur rata un battement.
En refermant la porte de sa chambre, un médecin posa sa main sur mon épaule. Il me pria de le suivre. Une fois dans son bureau, il me demanda de m'asseoir. Je m'assis. Il m'expliqua pendant une dizaine de minutes que sa situation n'était pas encourageante. Elle avait besoin d'un donneur, au plus vite. Mais la liste était longue. Et les chances étaient infimes. Il me demanda de me préparer au pire et, si possible, de ne pas revenir : ça l'épuiserait plus que nécessaire. J'hochai la tête. Il m'invita à quitter son bureau.
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Interludes
Short StoryBric-à-brac de ce qui me passe par la tête, le temps d'un trajet en bus.