Chapitre 1 : 221 av. J.-C.

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Assise devant son miroir, Isis observait son reflet, un bol de poudre à la main. Ressasser le passé la faisait toujours autant souffrir. Un soupir rageur lui échappa et elle lança violemment ce qu'elle tenait. La céramique éclata avec fracas pour retomber sur le sol en une myriade de morceaux. Les servantes qui s'attelaient à la préparer sursautèrent sans se permettre le moindre commentaire.

Insécurité.

Ce mot tournait en boucle dans la tête d'Isis depuis plus d'un an. Une année interminable et pesante durant laquelle on l'avait cloîtrée au palais. Déjà treize lunes que Kaï, son frère, avait pris le pouvoir d'un coup d'État habilement orchestré. Comment était-il parvenu à rallier l'armée royale à sa cause ? Elle ne le saurait probablement jamais, contrainte de spéculer sur les talents de persuasion de son jumeau.

Pourquoi avait-il fallu que ses parents périssent lors de l'attaque des Séleucides ? Les assassins s'étaient glissés parmi la foule, en plein centre d'Alexandrie, lors d'un défilé royal. Il ne leur avait fallu qu'un court instant pour endeuiller le peuple égyptien et priver deux enfants de leurs parents. L'exécution des malfaiteurs, dans la cour du palais, n'avait rien eu de réconfortant, bien qu'il soit toujours agréable de voir justice rendue. Ce fut Amôn, leur oncle, qui obtint la régence de l'empire. Cette décision des conseillers, apparemment liée à une demande de leur défunt père, ne plut pas plus à Isis qu'à Kaï, mais ce dernier fut le seul à agir.

Ce coup d'État était une véritable insulte envers l'ensemble de leur système politique et surtout envers sa sœur. Après tout, Isis aussi avait revendiqué le trône ! Et comment les conseillers avaient-ils réagi ? S'ils avaient eu le cran, nul doute qu'ils lui auraient ri au nez puisque leurs paroles ne valaient guère mieux. Le genre que les dieux lui avaient attribué à la naissance la délégitimait. Mais il y avait eu des précédents ! Alors, pourquoi ne lui laissait-on pas sa chance ?

Isis avait l'impression de sombrer depuis la mort de Ptolémée et Tétra. Comme si la douleur et l'amertume s'accrochaient à son cœur sans envisager de s'en défaire un jour. Ils étaient partis trop tôt, trop vite, et l'avaient abandonnée, malgré eux, à un sort dont elle ne voulait pas. Dont personne n'aurait voulu. Elle aurait tant souhaité leur montrer qu'elle était à la hauteur de leur grandeur. Par Osiris, elle n'avait même pas pu leur dire adieu ! Succéder à son père aurait été un ultime moyen d'honorer sa mémoire, de poursuivre son œuvre afin de lui prouver que ses enseignements n'avaient pas été vains.

Kaï n'avait rien de la noblesse d'âme de leur père. Isis le détestait de toutes les fibres de son être. Ils avaient pourtant été proches dans leur jeunesse, mais, au fil du temps, cette amitié s'était transformée en haine. À présent, elle ne le considérait même plus comme un frère. Il n'en avait pas l'étoffe. Patmosis s'en approchait plus. Au moins, elle pouvait se confier à lui sans crainte. C'était bien le dernier membre de sa famille paternelle sur lequel elle pouvait compter. Avec le peu de nouvelles que lui donnaient Théa et Néthi, jamais elle ne viendrait leur quémander quoi que ce soit.

Théa, la sœur ainée de Patmosis, avait été mariée très jeune, dès que le sang avait commencé à tacher ses dessous. Sa vie maritale l'occupait tout autant que les mondanités auxquelles elle adorait participer depuis toujours. Et Néthi, quant à elle, avait disparu de la circulation à six ans lorsque son père, Amôn, l'avait envoyée vivre en Grèce. Les raisons de ce départ étaient encore assez brumeuses, mais de ce qu'elle savait, sa nouvelle vie lui plaisait.

Heureusement que Pat avait été là pour lui apporter un peu de lumière dans ses ténèbres quotidiennes. Il avait été un pilier pour supporter le manque de ses parents et l'acharnement de Kaï. Elle l'obsédait depuis qu'elle avait refusé de lui céder et de le reconnaître comme pharaon. Du moins, c'était ce qu'il prétendait. Isis sentait qu'il y avait quelque chose de plus, sinon pourquoi l'aurait-il enfermée dans ses appartements ?

L'appel du pouvoir - Sous l'Oeil Oudjat tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant