Chapitre 2

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Je déteste Jeanne Smith.
Je déteste ses cheveux gris à la con, ses fringues en polyester immondes. Elle en fait des tonnes pour s'enlaidir et pour se faire remarquer, et ça aussi, je déteste. Franchement, elle aurait plus vite fait de porter un tee-shirt marqué "Hé-ho tout le monde ! Regardez-moi ! Plus vite que ça !".
Je déteste sa méchanceté, ses sarcasmes - énoncés avec son ton neutre et impersonnel, c'est encore pire. Comme s'il était trop ringard de montrer ses émotions ou son enthousiasme.
Je déteste comment elle a collé sa figure toute moche contre la mienne et enfoncé le doigt dans mon torse pour bien se faire comprendre. Quoique, maintenant que j'y réfléchis, je ne suis plus très sûr qu'elle l'ait fait, mais c'est le genre de choses dont elle est capable.
Ce que je déteste par-dessus tout, c'est qu'elle est odieuse, complété ment frappée, au point que même son mec ne la
Supporte plus et recherche une alternative. Surtout quand cette alternative est ma petite amie.
Je savais que Barney en pinçait pour Scarlett. C'était couru d'avance. Elle est super bien foutue. Vraiment super bien foutue. Chaque fois qu'on se balade en ville et qu'on approche de Topshop, elle est harcelée de tous les côté par des scouts d'agences de mannequins.
Mais Scarlett n'a jamais cédé aux requêtes des agences, parce qu'elle prétend être sept centimètres trop petite et bien trop timide pour devenir mannequin. Avant que nous sortions ensemble, elle et moi, je trouvais sa timidité adorable. Mais au bout d'un moment, ça perd de son attrait, un fille aussi timide : au début, on a envie de la protéger, après, on grince des dents en secret, énervé.
Le problème, avec le timidité, c'est que ça ressemble beaucoup à une absence totale d'efforts, comme celle dont fait preuve Scarlett dans notre couple. Moi, je me suis toujours donné du mal, je l'appelle tous les soirs, je propose des activités sympas à faire tous les deux. Je lui ai offert des cadeaux, j'ai configuré son BlackBerry, bref, j'ai assuré, comme petit ami. En amour, comme en football ou en physique, quel intérêt de s'impliquer si c'est seulement à moitié ? Et je ne veux pas paraître avoir la grosse tête, mais je pourrais sortir avec à peu près n'importe quelle fille du lycée - de quartier, même. Le fait que j'aie choisi Scarlett aurait dû gonfler sa confiance en elle, elle aurait pu faire preuve d'un peu de gratitude, tout de même.
Du coup, quand j'ai vu Barney et Scarlett ensemble, ça m'a rendu furieux. Tout ce que j'obtiens d'elle, ce sont des mouvements de cheveux et quelques malheureux sourires, mais lui il a droit aux regards langoureux et aux gloussements. Je ne les entendais pas, ces gloussements, mais je les ai imaginés comme de minuscules dagues d'argent en direction de mon cœur et, quand j'ai détourné la tête, je suis tombé sur une fille courte sur pattes, à cheveux gris, en train de se regarder dans une glace.
Jeanne Smith est la seule personne au lycée à qui je n'ai jamais adressé la parole. Sérieux. Je déteste les étiquettes, les clans et toutes ces conneries qui poussent à snober les gens simplement parce qu'ils n'écoutent pas la même musique que vous ou qu'ils sont nuls en sport. J'aime m'entendre avec tout le monde et toujours pouvoir trouver un sujet de conversation commun, même s'il n'est pas forcément palpitant.
    Jeanne Smith ne parle à personne, à part ce fameux Barney. Tout le monde parle d'elle, ou de ses fringues atroces, ou des altercations qu'elle provoque avec les profs à chacun des cours auxquels elle assiste, mais personne ne lui parle à elle parce que c'est s'exposer aux piques les plus mortelles ou à se faire fusillée d'un regard supérieur.
    C'est d'ailleurs ce que j'ai obtenu lorsque j'ai tenté de lui expliquer mes soupçons à propos de Barney et Scarlett. J'ai pris conscience de mon erreur au beau milieu de ma première phrase, mais c'était déjà trop tard. Je m'était engagé dans une conversation avec Jeanne Smith. Je ne sais pas, exactement, comment on réussit à produire un regard inexpressif qui parient également à promettre des souffrances inimaginables, mais d'une façon ou d'une autre, Jeanne le maîtrise à la perfection. Ses rétines avaient cédé la place à des pointeurs laser.
    Après ça, elle a joué les garces, menton en avant, et tout à coup, l'affaire entre Barney et Scarlett, si louche soit-elle, est passé au second plan, j'ai juste eu envie d'avoir le dernier mot.
    - Jolie robe, au fait, ai-je dit en désignant l'horrible machin multicolore quelle avait sur le dos.
    C'était un coup bas, parfaitement indigne de moi, mais au moins j'ai réussi à fermer son clapet à Jeanne Smith. Pourtant, à ce moment-là, elle a eu un petit sourire en coin. Elle fait partie de ceux qui peuvent mettre beaucoup de choses dan d'un sourire en coin. Beaucoup de choses et pas une de sympa.
    Lorsque j'en ai eu terminé avec ce petit échange fort désagréable, Scarlett et Barney, de leur côté, avaient fini leur flirt silencieux. Scarlett s'est empressé de me rejoindre - je ne l'avais jamais vue avec un visage aussi expressif.
    - On peu y aller maintenant ? m'a-t-elle demandé.
    Comme si c'était mon idée de venir dans cette brocante pleine de vieilles saletés et de vêtements poisseux dont même la pire association caritative au monde ne voudrait pas. C'était Scarlett qui avait tenu à y faire un saut et, comme elle ne proposait jamais rien d'intéressant ou de marrant à faire, j'avais pris cela comme un signe de réel progrès dans notre relation.
    Maintenant, je la soupçonnais de n'avoir été motivée que par la présence de Barney. En temps normal, je serais allé droit au but et j'aurais exigé des explications, mais quelque chose m'a fait hésiter. Si notre couple était un échec, que devrais-je en conclure ? Qu'elle me préférait un rouquin timoré, et ça... non. Ça n'était pas possible.
    Donc, je me suis contenté de répondre :
    - Cool, ça sent le cadavre, cet endroit.
    Scarlett a marmonné son accord, mais à l'instant de franchir la porte, elle a tourné la tête en direction du coin où se trouvait Barney. Il ne lui a pas rendu un regard enamouré, pour la bonne raison qu'il faisait face à Jeanne qui, en juger d'après son visage revêche et sa position, mains sur les hanches, devait lui passer un savon.
    - Cette fille, je ne peux pas la sentir, a craché Scarlett à voix basse, d'un ton assassin.
    Je l'ai dévisagée, ébahi. C'était la première fois que je l'entendais exprimer une opinion.
    - Elle est trop méchante, e-t-elle ajouté. Un jour, elle m'a fait pleurer en anglais : j'étais en train de lire à voix haute Le Songe d'une nuit d'été et elle a levé la main pour se plaindre que je ne mettais pas le ton. Moi, au moins, je n'ai pas une voix de robot sous calmant.
    - C'est vrai qu'elle est un peu agaçante...
    - Pas qu'un peu. Elle est agaçante, point barre, m'a informé Scarlett, glaciale.
    Elle était pleine de surprises, cet après-midi. Elle m'a même jeté un regard noir en passant, pendant que je lui tenais la porte, comme si j'étais Jeanne Smith par procuration.
    - Pourquoi elle te met dans un état pareil ? ai-je demandé dans l'escalier qui nous ramenait vers la rue.
    Je connaissais déjà la réponse - si Scarlett détestait autant Jeanne, c'est parce que Jeanne sortait avec Barney. J'en étais sûr et certain.
    - "Je suis Jeanne Smith, a imité Scarlett d'une voix mécanique, qui m'a fait sourire malgré moi, parce que cette Scarlett énervée et rouspéteuse était environ mille fois plus marrante que la Scarlett avec laquelle je sortais jusque-là. J'ai un millions de followers sur Twitter, mon blog est génial, mes vêtements atroces et mes cheveux de vieille sont en réalité à l'avant-garde de la colite de, et si tu n'es pas d'accord, c'est parce que tu n'es pas cool. D'ailleurs, tu n'es tellement pas cool que je ne peux même pas poser les yeux sur toi, au cas où tes vilain microbes de banlieusard pas cool seraient contagieux." Franchement, elle se prend pour qui ?
    - Elle a un blog ? La belle affaire. Tout le monde en a un.
    - On voit que tu ne connais pas le sien, a marmonné Scarlett sombrement. Les sujets qu'elle aborde... C'est pas croyable.
    - Comment se fait-il que tu joues la cyber-espionne comme ça, au fait ? ai-je demandé d'une voix si aigüe que je me suis étrnglé sur la dernière syllabe.
    - Je ne l'espionne pas.
    La voix de Scarlett, en revanche, redevenait le murmure habituel.
    - Je suis obligée de lire son blog, sinon je ne pourrais pas participer quand les gens parlent d'elle au lycée.
    - Quoi, en dehors de Jeanne Smith, vous n'avez aucun autre sujet de conversation, dans ta classe ?
    Scarlett n'a rien répondu, elle s'est contentée de scruter la rue, puis elle a poussé un soupir de soulagement.
    - Ma mère est là, il faut que je file.
    - Je croyais qu'on allait boire un café.
    - Oui, eh bien, en fait, ma mère m'a envoyé un texto pour me dire qu'elle passait dans le quartier, a-t-elle avoué, gênée. Pendant que tu faisais un tour, au vide-grenier. Enfin, c'est à ce moment-là que j'ai eu son message.
    Je ferais bien de tout arrêter avec elle, voilà ce que je me suis dit. Parce que nous n'irions nulle part, elle et moi. Et oui, Scarlett me ferait son visage triste qui évoque un bébé phoque sur le point de succomber aux coups du braconnier, mais je l'avais vu si souvent ces dernières semaines que j'étais immunisé.
    - Écoute, Scarlett, j'ai réfléchi... ai-je commencé, mais elle reculait déjà.
    -J'y vais, a-t-elle couiné tandis que sa mère klaxonnait.
    À demain ou un de ces quatre.
    - Oui, c'est ça, ai-je dit, mais elle s'était déjà mise à courir en direction du Range Rover de sa mère, qui bloquait la circulation, et il était impossible qu'elle ait pu m'entendre.

AttachianteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant