Chapitre 4

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J'adore le dimanche soir. Les autres soirs de la semaine sont tous tellement remplis de devoirs, d'entraînements de foot, de réunions de délégués, d'organisation de débats avec le club de rhétorique, de paperasse pour mes parents, qu'une simple sortie entre amis semble une tâche supplémentaire à rayer de ma liste de chose a faire. En plus, mes parents sont catégoriques: j'ai besoin de mes dix heures de sommeil pour affronter la semaine qui s'annonce, alors ils me découragent fortement (certain iraient jusqu'à dire "m'interdisent" ) de sortir le dimanche soir.
Ma mère s'occupait du bain de mes petites sœurs. En montant l'escalier pour rallier ma chambre sous les combles, j'ai entendu Melly se plaindre de devoir partager la baignoire avec Alice : " Elle a cinq ans, maman, moi sept, j'ai droit à mon intimité. "
J'ai fermé ma porte en souriant, puis j'ai déposé mon plateau sur mon bureau avec la plus grande précaution. Le dimanche soir, ma mère attend de moi que je nettoie le réfrigérateur de tous les restes du week-end avant la livraison du supermarché le lundi matin. Étant donne que du lundi au jeudi, on n'est pas censés manger " des cochonneries ", comme ils disent, c'est ma dernière chance de me gaver de bouffe trop sucrée, trop grasse.
    En mâchonnant un nom froid, j'ai allumé mon ordinateur, j'avais un exercice de physique à terminer. Ils sont persuadés que je finis tous mes devoirs avant de sortir le vendredi soir, mais ils se plantent complètement.
    Je venais de mettre le point final a ma série de formules lorsque ma mère a frappé à la porte.
    - Michael ? Tout va bien ?
    Elle n'était pas autorisée à entrer avant d'avoir la permissions expresse, depuis la fois où elle m'avait surpris en compagnie de Megan, la fille avec qui je sortais avant Scarlett dans une position compromettants, sur mon tapis Ikea.
    S'en étaient suivies d'interminables et pénibles discussions sur les limites à se fixer et les risques de grossesse non désirée. Depuis, chaque fois que ma mère dépose mes affaires propres dans une corbeille devant ma porte, je retrouve systématiquement des paquets de capotes fourrés dans mes proches de jean. Selon mes calculs, je détenais quatre-vingt-treize préservatif dans leur petit emballage aluminium.
    - Oui, oui, ça van ai-je répondu. J'ai pris le dernier pancake aux pépites de chocolat que papa a préparé hier, j'avais le droit ?
    - Mieux vaut qu'il finisse dans ta bouche que sur mes hanches, a constaté ma mère. Qu'est-ce que tu fais ?
    Parfois, je repense avec nostalgie à ces jours heureux où elle débarquait dans ma chambre sans prévenir. Je préférais presque ça à l'entendre me bombarder de questions de l'autre côté de la porte.
- Je traîne un peu sur Internet, ai-je signalé d'un ton vague.
- Bon, avec ton père, on va se regarder un DVD si tu veux te joindre à nous, persista-t-elle. Pas un truc cucul.
- Non, non, ça va, ai-je réussi à articuler. Je t'assure, maman, je descendrai plus tard.
- Si tu es sûr...
Je n'ai rien répondu, je me suis contenté de grogner parce que, si je continuais à parler, elle allait rester plantée là jusqu'à la fin des temps. Pour finir, je l'ai entendu descendre les marches - elle seule était capable de signifier le reproche grâce à de simple pas. Je me suis à nouveau concentré sur Facebook. Scarlett était en ligne, mais, à l'instant où je me suis connecté, elle a disparu. Ou bien elle a opté pour un statut " invisible " pour que je la croie déconnectée - quoi qu'il en soit, les perspectives s'annonçaient sombres pour ce qui restait de notre couple, cette bête boiteuse et blessée.
    Presque comme si mes doigts agissaient Indépendamment de mon cerveau, je les ai soudain vus taper " Jeane Smith + blog + Twitter " dans la barre de recherche de Google. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris, pourtant, les cinq minutes en compagnie de Jeane Smith de l'après-midi m'avaient suffi pour les dix ans à venir et, de toute façon, il devrait sûrement y avoir des milliers de Jeane Smith qui tenaient un blog. Même si, franchement, ça faisait très poseuse, de coller un e au bout de son nom pour lui donner un côté français ou je ne sais quoi et... oh !
    Le tout premier lien parmi les 1 390 000 000 résultats m'a emmené tout droit sur mon blog, Irresistibly Geek.
    Il était illustré d'une photo représentant l'auteure, j'ai donc su tout de suite que je me trouvais au bon endroit. Juste en dessous, il était écrit : " Je n'ai rien à voir déclarer, si ce n'est ma Geek-attitude." Au moins un point sur lequel on était d'accord.
Jeane Smith vit à Londres. Blogueuse, twitteuse, rêveuse, et même rêveuse audacieuse, elle est aussi agent provocateur, experte en tricot, apprentie iconoclaste.
    Un jour, il y a quelques années, elle lance un blog intitulé Irresistibly Geek afin d'évoquer les très, très nombreux sujets qui tiennent à coeur. Ainsi que les très, très nombreux sujets qui la mettent en rage. Peu à peu, les lecteurs se multiplient, au point qu'un an après sa création, le blog est élu Meilleur Blog de Style par le Guardian, puis reçoit un Bloggie Award. Il a depuis été cité dans le Times, le New York Post, l'Observer et les sites Web Jezebel et Salon.
    Votre humble et néanmoins distinguée maîtresse de blog a accédé au 7e rang de la liste des "30 personnes de moins de 30 ans qui changent le monde ", elle est également considérée comme une experte en réseaux sociaux et tendances (Dieu seul sait ce que ça peut bien vouloir dire) et œuvre comme consultante pour toutes sortes de boites fashion bosées à Horton et Soho. Ses papiers ont été publiés par le Guardian, le Time, NYLON, i-D et Le Monde. Elle s'est exprimée lors de conférences traitant des nouvelles tendances chez les jeunes à Londres, Paris, Stockholm, Milan et Berlin. Jeane rédige aussi une rubrique style dans le magazine japonais pour ados Kiki, elle tient régulièrement un stand sur les brocantes les mieux fréquentées organisées un peu partout dans Londres et sa région.
    Irresistibly Geek n'est pas uniquement un blog, un style de vie ou une agence de tendances, c'est aussi un état d'esprit. Seuls, nous sommes des geeks, des intellos, des déjantés, des losers, des nullos, des opprimés - mais tous ensemble, nous pesons lourd, très lourd. Oh yeah.
    Et là je me suis dit : "Mais bien sûr", parce que franchement, il fallait voir le niveau de connerie. Laisser tomber. C'est juste une nana de dix-sept ans qui se le jouait grave - parce que les gens qui vont au lycée, vivent avec leurs parents et sont forcés, comme tout le monde, de lever la main pour demander la permission d'aller aux toilettes en heure d'étude ne changeaient pas le monde et ne signaient aucun super contrat de consultante. Ça n'existait pas point.
    Jeane Smith racontait n'importe quoi et je ne comprends vraiment pas pourquoi je me suis attardé sur son blog au point de me retrouver à fixer un truc appelé "DustCam", une caméra censée filmer l'accumulation de la poussière. Apparement, Jeane intervenait sur son blog au moins une fois par jour dit, elle ne devrait pas avoir grand-chose à faire de ses journées, en dehors de dénicher des robes d'occasion qui puent et de jouer l' " apprentie iconoclastes ". J'ai parcouru des tas de poste prétentieux qui parlaient d'entrer en contact avec son geek intérieur, j'ai même lu les billets quotidiens de 8h15, qui montraient en train de faire la maline avec ses tenues bariolées, assortis de commentaires :

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⏰ Dernière mise à jour : May 08, 2017 ⏰

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