Prologue (I)

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Ses boucles brunes encadraient joliment son visage. Elle avait un petit nez retroussé et des yeux verts en amande. Elle n'était pas très grande pour son âge. Ses quelques années d'existence n'avaient pas étaient très clémentes avec elle. Son regard était toujours fuyant. Elle ne souriait jamais. Ce n'était pas une petite fille très sociable. Même lorsqu'elle se retrouvait avec les autres enfants, elle restait dans son coin, enfermée dans son mutisme. 

Elle était née dans un seul but : servir la science. Les expérimentations sur les êtres humains étaient interdites mais cela n'empêchait pas des organismes privés de braver les lois. En secret, reclus dans des lieux isolés aux confins du monde, des laboratoires menaient des recherches douteuses. Les scientifiques travaillant dans ces lieux étaient des hommes et des femmes capables d'œuvrer sans émotion. Ils étaient froids et distants. Pour eux, ce n'étaient pas des enfants. Seulement des sujets, au même titre que ces souris blanches, tournant sans cesse dans leur cage métallique.

Pour travailler dans ces centres de recherche si particuliers, il fallait passer une série d'examens. Les potentiels chercheurs devaient monter qu'ils ne laisseraient aucune émotion, ni aucune pitié altérer leur jugement et leur travail. Et c'est ainsi que les enfants qui naissaient dans ces cuves se voyaient attribuer un matricule. Une suite de chiffre et de lettre correspondant à tout un tas de variable. Jamais on ne les nommait.

Les plus vieux n'avaient pas plus de sept ans. Les plus jeunes, à peine quelques heures. Ici, on produisait des sujets à la chaine, comme on l'aurait fait dans une usine. Tout était désormais automatisé et géré par des intelligences artificielles, des IA. Les séquences d'ADN étaient tout simplement téléchargées dans l'ordinateur, et la magie opérait. Les nouveaux sujets étaient pris en charges dès leurs sorties des incubateurs par des agents en blouse blanche qu'on nommait des assistants. On ne leur montrait presque aucun signe d'affection et c'est ainsi que la plupart développait un comportement mutique.

Ce jour là, elle se tenait recroquevillée sous un tabouret blanc, dans un coin de la pièce aseptisée. Le blanc des murs, des meubles et du sol était aveuglant. Les quinze sujets présents dans la pièce avaient un teint blafard. Certains étaient assis autour d'une table et dessinaient des formes complexes et monochromes. D'autres jouaient avec des figurines de bois. Aucun ne semblait prendre du plaisir dans ces activités.

Il les observait derrière le miroir teinté, un carnet gris et un stylo dans les mains. Les quatre caméras dans la pièce restituaient leurs images sur les moniteurs devant lui, lui permettant de voir les sujets sous tous les angles. Il était chargé d'analyser leurs comportements en communauté. Mais les sujets semblaient s'ignorer les uns les autres. Chacun, focalisé sur son activité, faisait abstraction de ce qui l'entourait. Mais la fillette retenait particulièrement son attention. Cachée dans son coin, son regard allait d'un enfant à un autre, comme si elle les observait.

Il savait qu'il ne pouvait pas s'attacher. C'était contraire au règlement du site. Il pouvait perdre son travail, mettre sa vie et celle de sa famille en danger. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine pitié pour ces enfants. La petite fille tourna sa tête dans sa direction. Ses boucles s'agitèrent dans le mouvement. Il savait qu'elle ne pouvait pas le voir et pourtant, il se sentit gêné. Comme coupable de les observer ainsi à leur insu. Il baissa les yeux dans ces notes et entreprit de se relire. Lorsqu'il releva la tête, la fillette n'était plus dans la pièce. Son pouls s'accéléra pendant une seconde puis il se tourna vers les moniteurs. Elle était toujours là. Elle se tenait debout, sous le miroir teinté qui le séparait des sujets, les deux mains posées contre le carrelage blanc qui recouvrait le mur. Il tressailli devant les images. Les autres enfants ne se laissaient pas distraire de leur tâche. Il s'assit derrière le bureau, devant l'écran. Elle n'était pas comme les autres. Elle avait quelque chose qui la rendait appart. Il entreprit alors de trouver son dossier dans la masse de données de l'ordinateur. Il entra la série de chiffre et de lettres qui définissaient son identité et entra une dizaine de code de sécurité. Les informations codées s'affichèrent sur l'écran. Il entra la clé de cryptage mais elle fut refusée. Troublé, il crut d'abord à une erreur de sa part mais il se rendit vite compte que c'était la clé qui était fausse. Le dossier de la fillette avait été crypté séparément des autres sujets de son groupe. Il se mit alors à la recherche des dossiers des trois autres groupes correspondant à sa tranche d'âge. Dans chacun, au moins un dossier refusait de s'afficher avec la clé commune.

Cette anomalie piqua sa curiosité et il entreprit alors de découvrir ce qui se cachait derrière tout ça.

Sa supérieure lui avait demandé de vérifier que toutes les chambres étaient bien sécurisées avant de renter chez lui. Il s'était donc dirigé dans le couloir B du septième étage. Il abritait les quatre groupes sur lequel il travaillait. Le mystère de la fillette au dossier crypté ne l'avait pas quitté de toute l'après-midi. Vérifiant les systèmes un par un, il se retrouva devant sa porte. Par le hublot d'à peine quinze centimètres de diamètre, il se permit de jeter un coup d'œil. La petite fille aux boucles brunes était assise sur son lit blanc. Elle lui tournait le dos. Il s'apprêtait à continuer sa ronde quand elle se mit à fredonner. Il se figea sur place, croyant avoir rêvé. Mais ce qu'il entendait était bien réel ! Une petite mélodie triste lui parvenait à travers l'épaisse porte métallique. Il se sentit triste lui aussi. Comme si ces quelques notes avaient bouleversées quelque chose d'important en lui. Les sujets ne chantaient pas. C'étaient tout juste s'ils parlaient quand on leur posait des questions. Il éprouva un profond désir de pousser cette porte pour la prendre dans ses bras et pouvoir la consoler. Mais sa raison l'en empêcha. C'était bien trop dangereux. Il étouffa un sanglot au creux de sa main. La fillette tourna la tête et il s'éloigna de la porte. Honteux, il continua son chemin et termina vite se qu'il avait à faire.


Clone (En Pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant