Chapitre 6

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Quatre enveloppes. Quatre adresses. Quatre vies si différentes les unes des autres. Quatre personnes choisies parmi des millions d'autres. Pourquoi eux ? Il se posait la question. Qu'avaient-ils de plus ? Il regardait les enfants et ne pouvait maintenant plus s'empêcher de les voir avec leurs visages d'adultes.

La fillette aux boucles brunes s'agita. Elle avait toujours été celle qui l'intriguait le plus. Doucement, il se leva de sa chaise et vint s'asseoir près d'elle. Il se demandait si elle lui en voudrait de les abandonner. Il aurait voulu la garder pour lui. La protéger, toujours. Mais il lui manquait une chose que seule son originale était en mesure de lui offrir. Les autres enfants dormaient serrés les uns contre les autres, comme s'il avait besoin de se sentir liés à quelque chose. Pas elle. Elle se suffisait à elle-même. D'une main, il caressa sa joue et elle tressaillit sous ses doigts. Tous les quatre n'aimaient pas qu'on les touche. Ils avaient d'autres particularités qu'il avait appris à discerner avec le temps. Chacun était unique dans ses petites manies mais tous se caractérisaient par cette inaptitude à côtoyer la société.

Ils les avaient fait sortir, quelques fois. Toujours prudent, jamais plus de deux en même temps. Ils ne cherchaient jamais à s'enfuir. Ils étaient tous obéissants, dociles. De petites bêtes bien dressées n'ayant jamais blessé personne. Si elles avaient goûté au sang il aurait fallu les abattre sur-le-champ. Mais elles ignoraient tout du monde. Leurs yeux allaient toujours d'un point à un autre, va-et-vient incessant qui devait leur donner le tournis. Cramponnés à sa main, malgré l'inconfort du contact, ils se laissaient guider, sans jamais poser de question.

Il n'avait guère bien entendu leurs voix depuis qu'il les avait arraché des griffes de leurs tortionnaires. Ils leur arrivaient parfois de répondre à une question du premier coup, ou de demander quelque chose par eux même, mais ces moments étaient rares. Alors il parlait pour eux. Il leur racontait le monde et leur expliquait l'histoire. Comment le monde était corrompu, mais que la beauté trouvait toujours un chemin. Il leur fit écouter de la musique, pour la toute première fois. Avec cette simple mélodie, il avait vu un éclat se réveiller dans leurs yeux. Une étincelle, présente depuis toujours, mais que l'on avait cherché à éteindre.

Il le savait : il y avait une part d'humanité en eux. On avait voulu la leur soustraire, les rabaisser au rang de sujets de laboratoire. Ils méritaient mieux. Chaque jour, il s'efforçait de les traiter comme il l'aurait fait avec ses propres enfants. Mais ce n'étaient pas des enfants ordinaires. Il y avait leur passé. Il y avait leurs mutations. Et toutes les inconnues qui l'inquiétaient bien plus encore.

Ils les avaient volés. Dérobés. Arrachés des mains de leurs propriétaires. Ils avaient agi sous le coup de l'émotion. Viscérale, puissante. Ce besoin presque instinctif de protéger de petits êtres sans défense. Mais il leur manquait les informations essentielles...Au cours des derniers mois, il était parvenu à en récupérer certaines. Des noms, des adresses, des morceaux de rapport décryptés...

Un mur de la pièce était dédié à sa quête de réponses. Couvert de photo, de ficelles et d'épingles, il fabriquait son propre tissu de secret. Il savait qu'une fois les enfants en sécurité avec leurs originaux, il aurait le champ libre pour poursuivre ses recherches. Il se demandait s'ils se rallieraient à son projet. Il tentait de se mettre à leur place, de raisonner comme leur jeune esprit pouvait le faire. S'ils dépassaient le stade de l'acceptation et embrassaient leur mission comme il espérait qu'ils le fassent, alors ils désireraient des réponses, certainement autant que lui. Il avait besoin de leur aide. Peut-être presque autant qu'eux, avaient besoin de la sienne...

Clone (En Pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant