Douce hystérie

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Une note, deux, puis trois. J'ouvre les yeux et le soleil vient s'engouffrer dans ma tête, comme pour prendre la place du vide nocturne qui s'était installé.
Mon petit lit se réchauffe mais mon corps n'y arrive pas, alors je me lève. J'enfile mes pantoufles et me dirige vers la pièce commune. Méline regarde la télé et des bouteilles de poliakov jonchent le sol. J'ai bien fait de m'enfermer dans ma chambre hier, ça aurait été un désastre.
Je passe près de Mel qui se maquille devant notre miroir tout fissuré accroché dans l'entrée. Superficielle mais je l'aime bien quand même, c'est une sacrée coloc.
Elle porte une robe moulante noire, un perfecto et une pair d'escarpins. Qu'est-c'qu'elle fout ?

_ Il est 14h frère les boites elles sont fermées hein.
_ Ta gueule j'ai un daaate!

Je peux sentir l'excitation dans sa voix, et j'entends la rengaine raisonner, je vais avoir droit à c'te routine du "trouves toi quelque part où aller, ce soir je baise". L'addiction au sexe chez elle, c'est plus qu'affirmé.

_Putain..

Je shoot dans une canette vide, l'appart est vraiment en bordel, tout comme mon corps, j'suis trop en vrac.
Je mets en route la machine à café et j'entends la porte de notre petit trois pièce claquer. Le sifflement de la cafetière assassine mes tympans, on dirait que j'ai encore de l'alcool dans le sang, depuis tout ce temps... C'est un truc de dingue. Le soleil hivernal cogne dehors et s'infiltre dans l'appartement. Ça donne une atmosphère féerique, mais je suis trop dans le flou pour m'émerveiller de quoi que ce soit.
Je récupère ma tasse et traine des pieds jusqu'au canapé où je m'écroule.
Le plafond commence à moisir, ça craint.

*sonnerie de téléphone*

Je tâtonne et tente d'attraper mon portable qui gît quelque part sur le sol recouvert des lingeries de Mel' et de couverts oubliés.

_ Allô?
_ ...

Eh c'est d'la foutaise ça ?

_ Oh refré Val la vie si c'est toi qui m'fait une blague j'te jure j'suis pas d'humeur.

Ce petit con ne loupe jamais une occasion.

_ Hm, c'est pas "Val"..

Cette voix, ce timbre, ce raclement de gorge, putain.

_ Enculé comment t'as mon numéro? Rappelle moi une fois j'te fais suivre par les flics, j'te fais tracer et crois moi tu t'en sortiras pas comme ça.

Je raccroche et balance mon portable par terre. Mes joues brûlent, mes mains sont moites, j'ai chaud, ce vieux chien me donne la nausée.
Je me redresse et essaie de trouver comment il a bien pu avoir mon numéro. Le seul qui aurait pu c'est Val', mais c'est pas possible qu'il ait fait ça, non pas lui..
j'enfile un vieux sweat, un jogging et les stans trop grandes pour moi de Méline.

*flash back*

_ Assia stp baisse le son !

Ma sœur écoute la musique vraiment trop fort. C'est insupportable, mais qu'est ce que je l'adore. Il est 21h et ma mère monte nous dire de nous coucher. Assia éteint la musique, et le silence s'installe. J'essaie de faire traîner l'heure du coucher et vais dans la salle de bain en feignant ne pas m'être lavé les dents.

_ Ana qu'est-ce que tu fais ? Demain tu as cours dépêche toi d'aller au lit.

Je repose l'objet en plastique que je venais de saisir en soupirant et esquisse un faux sourire avant de traverser le couloir et d'entrer dans ma chambre. Ma mère éteint les lumières et j'entends le bruit de ses pas s'éloigner et disparaître. Le silence reigne en maître et une boule commence à se former dans mon ventre, j'ai peur, mais je ne bouge pas. Je suis là, allongée sur mon lit, ma veilleuse est allumée alors je me concentre dessus. Si jamais Valentin voyait ça il se moquerait sûrement, mais à cet instant précis je m'en fiche. Je fixe juste la petite source de lumière en sentant mon estomac se tordre.
Cela doit bien faire une heure que je n'ai pas fermé l'œil, le silence n'a jamais été aussi pesant qu'à cet instant. Le sommeil s'est abattu comme un orage sur la maison, tout le monde dort, à une ou deux exceptions prêt.
Je sais que c'est l'heure fatidique, et je suis pétrifiée. Que dois-je faire ? Est ce que ça va recommencer ? Est ce que c'est vraiment normal comme il dit ? Tout le monde vit ça apparemment et peut être que comme papa dit, à 13 ans on stresse tout le temps pour rien. Alors j'essaie de me raisonner, mais c'est vraiment dur, de plus que j'entends des pas lourds s'approcher doucement de ma chambre. J'ai un haut le cœur en entendant la poignée de la porte grincer faiblement mais je ferme les yeux. La porte se referme, et je tente de contrôler ma respiration. Dieu si tu existes, aides moi je t'en supplie.
Je sens un poids se poser sur mon lit et des doigts rudes passer sur mon visage puis sur mon épaule, et mon bras. Cette sécheresse provoque une lignée de frisson sur ma peau pêchue de bébé. Maman me dit tout le temps que j'ai une peau de bébé, ça fait un peu gamin quand même.

_ Je sais que tu ne dors pas ma petite Ana, aller ouvres tes yeux ma jolie, c'est Papa..

Je les ouvre et aperçoit mon père. Il prend un ton mielleux pour s'adresser à moi, comme si j'étais un genre d'objet à qui il suffit de dire une belle parole pour qu'il s'abandonne à ses désirs refoulés. Les traits durs de son visage sont relevés par la luminosité de ma veilleuse, ça lui donne un sale air de méchant dans les films.
Sa main attrape ma couverture et la descend lentement, je la reprends en étant consciente que je risque un coup déplacé.

_ Lâches ça.

Son ton est tout d'un coup froid et sévère. Je m'exécute sans aucunes remarques, oui Ana, ça va recommencer. Mon père passe sa main sous mon t-shirt et reprend sa voix faussement gentille.

_ Tu sais ma chérie tu ne dois pas avoir peur.. Je suis pas là pour te faire du mal.

Il affiche un sourire répugnant sur son visage tandis que sa main descend vers le bas de mon ventre. Je prend une inspiration, je ne sais pas ce qu'il me prend mais mon père devance mon intention et plaque sa deuxième main sur ma bouche. Les choses s'accélèrent et il bascule sur moi, tenant mon corps comme un vulgaire tas de Lego. Je n'ai pas le temps de verser une larme qu'il me touche déjà et retire mon pyjama de mon corps. Alors je cesse de lutter et concentre mon regard sur la veilleuse.
La veilleuse, la veilleuse.. Ma douce veilleuse.

*fin du flash back*

Je pointe le bout de mon nez dans paname. Il pleut, mais le ciel n'est pas très encombré contrairement à la rage qui monte en moi. Des souvenirs tournent frénétiquement dans mon esprit et je m'arrête plusieurs fois pour ne pas vomir. Je tremble mais je bouillonne et je me mets à courir pour arriver au plus vite chez Val. Pourquoi aurait-il fait ça putain je vais lui peter la gueule !
J'arrive devant son immeuble et sonne plusieurs fois pour qu'il m'ouvre. J'ai envie de défoncer le boîtier électronique.

_ Ouais c'est qui ? On s'calme un peu s'il vous plaît ?
_ La putain de ta race Val ouvre tout de suite.
_ Anaaaaaaa ! Sneaz' y'a Anaaaaaaa!
_ Je le répéterai pas deux fois bordel ouvre direct.

Il raccroche l'interphone et j'entends le bip indiquant qu'il me donne accès au bâtiment. Je pénètre dans l'immeuble et monte les marches le plus vite possible. J'arrive au 4eme, devant sa porte, et il y a du bruit. Peut être dans ma tête aussi, c'est un foutoir.
Je frappe plus violemment que j'imagine et Valentin m'ouvre, un sourire niais accroché aux lèvres. Son expression déchante lorsqu'il ne me voit pas lui rendre son enthousiasme. Je ne dis rien mais je fulmine et il finit par me faire entrer.
Toutes ces images..
Il y a ses gars dans l'appart', deux trois têtes que je ne connais pas et celles que je connais. Je reste dans l'entrée.

_ C'est toi qui lui as filé mon num ?
_ De quoi tu parles ?
_ Fais pas l'gamin putain !
_ Mais de quoi tu parles ? De qui ?

Il est allumé et ça m'énerve encore plus.

_ Putain mais ton problème Val c'est que tu fais que de t'mêler de ce qui t'regarde pas ! T'as pas à faire ça t'as pas à filer mon numéro et encore moins à c'vieux pd !!

Il me regarde, un sourire débile sur la tronche et les yeux injectés de sang.
Je le pousse fort et son équilibre anesthésiée par l'alcool ne le retient pas. Il tombe sur le petit étendage derrière et fait un bruit monstre, mais ce con est mort de rire. Je vois rouge, la musique s'éteint.

_ Regardes dans quel état t'es bordel t'es un enculé et tu te fais appeler Vald, mais pourquoi t'as fais l'grand pourquoi tu m'as fait ça putain regardes toi, regardes toi !

Il rit de plus belle, je vais lui défoncer la gueule.

_ Mémorise bien c'que je vais te dire "Vald". C'est finit.
_ C'est pas moi ! Lâche-t-il entre deux rire. J'te jure !

Je me retourne pour sortir mais heurte un torse.

_ Ana..

Je ne prends même pas le temps de lever les yeux pour voir qui s'adresse à moi, je suis trop embrouillée. Je sors en furie de l'appartement et déboule les escaliers. Mes sanglots éclatent, je hais ces images mais je hais encore plus voir Val comme ça, se foutre de ma gueule, complètement déchiré. La pluie s'est mise à tomber encore plus fort et le ciel est bien plus couvert qu'il y a quelques instants. Je tente de me calmer, mets ma capuche et me mets à courir dans les rues bondées de la capitale.
Temps de merde, les chiens de ma vie ont décidé de me pisser dessus aujourd'hui.

Jeudi grisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant