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La première fois que je le vis, c'était début septembre. Ce matin-là, des langues de brouillards serpentaient entre les plants flétris des champs de maïs. Postée au bout du chemin poussiéreux de notre ferme, j'attendais le bus scolaire.

Pour faire passer le temps - et en bon matheux que j'étais -, je calculais le nombre de fois où j'avais attendu ce bus au cours des dix dernières années . C'est là que je le remarquai.

Il était assis sous un hêtre centenaire, de l'autre côté de la route, dissimulé par des branches basses et noueuses. Malgré l'ombre qui l'entourait, je distinguai un jeune homme de grande taille vêtu d'un long manteau sombre qui ressemblait à une cape.

Cette portion de bitume que je connaissais si bien me sembla tout à coup affreusement inquiétante. Je sentis ma gorge se serrer. Que pouvait bien faire ce type sous cet arbre, au beau milieu de nul part et à une heure pareille ?

Sans doute remarqua-t-il que je l'observais, car il bougea légèrement, comme s'il hésitait à partir. Ou à traverser la route.

Pour la première fois, je me rendis compte à quel point j'étais vulnérable à attendre le bus tout seul.

Je lançais un coup d'œil vers la route, le cœur battant la chamade. Mais où était ce maudit bus ? Et pourquoi fallait-il que mon père m'oblige à prendre les transports en commun alors que j'aurais pu avoir une voiture, comme la plupart des élèves en terminale ? Bien sûr, il fallait que je " préserve l'environnement " ! Et je pari que si je m'étais fait enlever par ce type louche, papa aurait insisté pour que mon avis de recherche n'apparaissent que sur des briques de lait en carton recyclé...

Pendant la fraction de seconde où je pestais contre mon père, l'inconnu avait avancé dans ma direction, et, juste au moment où, par bonheur, le bus apparaissait à quelques dizaines de mètres de là, je crus l'entendre prononcer le mot " Lewis ".

Mon ancien nom... Celui que j'avais reçu à ma naissance, en Europe de l'Est, avant d'être adopté aux Etats-Unis, où l'on m'avait rebaptisée Louis Tomlinson...

Peut-être avait-je imaginé des choses ? Après tout, sa voix avait été couverte par le bruit des pneus sur la chaussée mouillée, de l'embrayage grinçant, et du chuintement des portes que le chauffeur, M. Dilly, avait ouvertes devant moi. Ah ! Ce bon vieux bus numéro 23 ! Mon sauveur ! Je n'avais jamais été aussi heureux de le voir.

Avant de redémarrer, M. Dilly habituel " B'jour Lou ". Je m'avançai dans l'allée centrale à la recherche d'une place libre ou d'un visage connu parmi les passagers à moitiés endormis. Il y a vraiment des fois où je me serais bien passé de vivre en pleine campagne. Les jeunes de la ville, eux, étaient sûrement encore en train de dormir tranquillement au fond de leur lit.

Soulagé, je me laissai tomber sur un siège libre que j'avais repéré au fond du bus. J'avais peut-être réagi de manière excessive, finalement. Sans doute mon imagination s'était-elle emballée, polluée par tous les criminels recherchés dans l'émission America's Most Wanted . À moins que l'inconnu en ait vraiment après moi... Fébrile, je me retournai pour regarder la vitre arrière.

Non ! Il était encore là, mais se tenait à présent au milieu de la route, une botte de chaque côté de la double ligne jaune. Les bras croisés, il regardait le bus s'éloigner. Il me regardait.

_ Lewis...

M'avait-il vraiment appelé par ce nom depuis si longtemps oublié ?

Et s'il le connaissait, qu'est-ce que ce sinistre inconnu savait d'autre sur mon passé ?

Et surtout, que me voulait-il à présent ?


Comment se débarrasser d'un vampire amoureux {LS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant