Tess.
Le lundi, c'est le jour des courses. Même si je n'habite cette ville que depuis quatre mois, j'ai déjà mes petites manies. Il m'arrive de me reprocher cette existence bien réglée, mais le plus souvent, c'est l'absence d'imprévu que je savoure. J'ai beau n'avoir que vingt-cinq ans, n'ayant jamais été aventurière dans l'âme, je trouve ma vie paisible plutôt confortable. Je ne crois pas que cela fasse de moi une vieille fille. Quoique... si l'on considère mon âge et mon célibat — sans aucune vue sur un quelconque spécimen masculin qui aurait la bonté de se présenter à ma porte —, on pourrait m'affubler de cette appellation moqueuse sans que cela soit de la diffamation.
J'en ai bien un dans mon champ de vision actuel-lement, mais celui-ci, même s'il est de sexe adéquat, ne me semble pas avoir plus de dix ans. C'est un peu jeune. Pendant que je fais le plein en ramettes dans le rayon papeterie, son attitude m'intrigue.
Discrètement, j'observe son manège. Posté devant les fournitures scolaires — très à la mode en ce mois de septembre —, il inspecte toutes les étiquettes de tous les articles, en lorgnant sans cesse la feuille chiffonnée qu'il serre entre ses doigts.
Soyons clairs. Il n'est pas dans mes habitudes de mater les enfants, mais celui-ci dégage quelque chose d'étrange. Cela fait presque une demi-heure qu'il est figé devant l'étalage. Ensuite, il semble en plein débat avec lui-même.
Je l'ai remarqué, car je suis incapable d'effectuer mes courses de façon organisée. Je passe d'un rayon à l'autre pour repartir en arrière, oublier un produit et y revenir encore. Je suis tout à fait en mesure de parcourir cinq kilomètres dans un magasin de cinq cents mètres carrés, je vous l'assure. Donc, au gré de mes allers-retours, j'ai repéré ce petit bout à l'air perdu, voire désespéré.
Je n'y tiens plus, cette fois-ci, je décide de lui proposer mon aide, et avec un peu de chance, lui redonner le sourire.
Parce qu'il est mignon ce garçon, une jolie bouille et une façon de se coiffer rigolote comme tout avec ses mèches claires dans tous les sens. Puisque je ne suis pas pressée, je m'approche avec mon caddy.
— Bonjour. Il semble que tu as un problème. Est-ce que je peux t'aider ?
Absorbé par la contemplation des produits, il ne m'a pas vue arriver, il sursaute avant de se tourner vers moi. Apeuré, il me fixe avec ses magnifiques yeux bleus écarquillés. Je le rassure aussitôt.
— Excuse-moi, je ne voulais pas t'effrayer. Je te vois planté ici depuis un moment. Du coup, je suis venue voir si tu as besoin d'aide.
— Merci, mais vous ne pouvez rien faire, répond-il d'une voix triste.
Alors là, il me fend carrément le cœur. Tout à coup, telle une Wonder Woman de banlieue, je me sens investie d'une mission, celle de voler au secours de cet enfant pour qu'il sorte de ce magasin en sautillant de joie.
— Dis toujours, on ne sait jamais. Tu dois faire des courses et c'est ta liste ?
Il triture son papier en se dandinant, avant de hocher la tête. Il est intimidé, c'est logique. Je l'encourage d'une voix douce.
— Alors, quel est le problème ?
Il agite sa feuille froissée.
— À l'école, ils disent qu'il faut avoir tout ça.
— Et dans le rayon, il n'y a pas les produits indiqués sur ta liste ?
— Si. Ils y sont tous.
Sur ce, il se tourne à nouveau vers l'étalage qu'il contemple en silence. Bien, bien, bien. Ça ne va pas être simple s'il refuse d'être plus clair, mais je ne baisse pas les bras.
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Sublimes cicatrices (Disponible en édition)
RomanceCole n'attend plus de la vie qu'elle lui offre le bonheur. La vision qu'il en a est à l'image de son visage balafré, laide et douloureuse. Il est sans scrupule et rumine son amertume, son seul but étant d'assurer sa promesse en prenant soin de s...