2 - ... et moins agréable.

16.3K 1.9K 559
                                    

Cole.

Sous les tôles du hangar, la chaleur rend cette journée interminable. Je cuis et la température commence juste à baisser. D'ailleurs, cette relative fraîcheur m'intrigue. Je jette un œil sur ma montre, vingt et une heures. Ça ira pour aujourd'hui, je finirai de démonter ce moteur demain. En rejoignant ma voiture, je m'essuie les mains sur un vieux t-shirt que je jette sur le sol, puis je rentre chez nous. Même si c'est un mobil-home pourri, c'est à nous, Elliot et moi. Nous sommes bien contents de l'avoir déniché, parce qu'il y a encore deux ans, nous dormions dans la baraque en tôles qui me sert d'atelier, au milieu des odeurs d'essence et de cambouis. En guise de salle de bains, un tuyau dans la cour.

Quand je m'étais juré de prendre soin d'Elliot, je n'imaginais pas que la vie serait si dure, au point de ne pouvoir manger tous les deux certains jours. Encore moins de ne pas lui mettre un toit décent au-dessus de la tête. Le changement de vie a été rude, une chute vertigineuse. J'ai dû me sacrifier bien souvent pour qu'Elliot ait au moins le ventre plein. Nous n'avons même pas de lit, juste chacun notre matelas posé à même le sol. Malgré tout, il ne s'est jamais plaint. Pour lui éviter une vie merdique, balloté de familles d'accueil en foyers, je lui en offre une carrément minable, mais libre. Je me demande parfois si le garder avec moi était la bonne décision, pour lui.

De galère en déconvenue, j'ai fini par devenir ce type. Un petit truand, un voleur de voitures qui les démonte pour revendre les pièces. Je n'en suis pas fier, mais je n'ai guère le choix. Je ne trouve aucun travail et ce n'est pas faute d'essayer. Même comme ouvrier ou manutentionnaire, on ne veut pas de moi. Je ne parle même pas des boulots qui induisent un contact avec des clients, ils ne prennent pas de gants pour me virer de leur bureau. À chaque fois, la réponse est identique « Ce n'est pas possible, vous comprenez ? ». Oh oui, c'est limpide. Le fait qu'ils n'arrivent pas à soutenir mon regard me l'explique. C'est sans me regarder en face qu'ils me renvoient chez moi.

Elliot et mon pote, Dan, sont les seules personnes à me regarder droit dans les yeux, mes stigmates ne leur font aucun effet. D'ailleurs, moins qu'à moi. À chaque fois que je m'observe dans un miroir, me prend l'envie d'y coller mon poing pour que disparaisse ce visage hideux.

Comme signe particulier, j'arbore trois longues et épaisses cicatrices. L'une qui démarre sur mon front, sinue le long de mon nez pour terminer sur mon menton, la deuxième qui court sur toute ma mâchoire, et la dernière en travers, comme pour réunir les deux. Je suis bien placé pour admettre qu'elles sont affreuses, et que l'on ne voit qu'elles en posant les yeux sur moi. En revanche, je ne pourrai jamais supporter le comportement des gens qui me dévisagent avec dégoût, ou bien me fuient du regard. J'ai bien essayé de passer outre, mais n'y suis pas parvenu. Au début, j'étais blessé par leur attitude, maintenant, ça provoque ma colère.

Le jeune homme gai que j'étais est désormais empli d'amertume à force d'être comparé à un monstre. Je hais les gens, alors leur voler leurs voitures pour les démonter ne me fait ni chaud ni froid. Grâce à ça, je peux survivre et nourrir Elliot. Surtout, ça leur apprendra à me traiter de la sorte. Qu'ils aillent tous se faire pendre.

Mais pour l'instant, je suis à la bourre. C'est un de mes défauts, je ne crois pas parvenir à m'améliorer un jour. Heureusement qu'Elliot a l'habitude d'être seul et qu'il est dégourdi, parce que je n'y arriverais pas si je devais être sans cesse derrière lui. En passant devant le supermarché, je peste en tapant sur le volant. Je lui avais annoncé que je l'emmènerais acheter ses affaires d'école. Je l'ai encore oublié. Pire, je ne lui ai rien laissé pour qu'il y aille sans moi. Il va se faire pourrir par sa prof. Par ma faute, comme toujours.

Arrivé au mobil-home, je me prépare à lui présenter des excuses, même en sachant qu'aucun reproche ne franchira ses lèvres. Elliot n'en fait jamais, ce môme est une pâte. Je monte les quatre marches branlantes — je dois vraiment nettoyer dehors, c'est un dépotoir — et lorsque j'ouvre la porte, je le trouve devant la plaque de cuisson. Étonnamment, il m'accueille avec un sourire radieux.

Sublimes cicatrices (Disponible en édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant