1. Normale

28 1 0
                                    

          

C'était une journée maussade de Janvier, il faisait froid. Froid comme dans les films, quand les personnages faisaient des petits nuages en soufflant mais qu'ils ne grelottaient pas. Les cours avaient repris depuis une semaine, après les vacances de Noël, et les élèves avaient du mal à retrouver le rythme scolaire après avoir fait la fête pendant deux semaines. Souvent le matin, tout était blanc de givre et il fallait gratter le pare-brise des voitures pour voir quelque chose en roulant.

   Elle rentrait chez elle, au pas de course, comme à son habitude. Elle avait toujours marché vite, ça la rassurait. Ca la réchauffait quand il faisait froid, ça l'empêchait de trop réfléchir dans tous les cas. Et ce jour-là, elle désirait particulièrement ne pas réfléchir.

   La porte était fermée, comme d'habitude. Comme d'habitude, Rex, le gros tas poilu qui lui servait de chat l'accueillit avec des miaulements rauques, comme d'habitude son intello de frère aîné ne l'entendit pas renter car il travaillait dans sa chambre et, comme d'habitude, elle balança son sac de cours par terre au pied des escaliers avant d'aller chercher quelque chose à manger dans la cuisine, suivie de ce gros pataud de Rex.

- Rex, espèce de gros morphale, tu peux pas me lâcher la grappe juste une fois ?

Le matou s'assit sur son derrière et la fixa de son regard vide.

- Raaah, c'est bon j'ai compris ! Je vais te nourrir, gros goinfre, même si je suis sûre que tu as déjà dépassé la dose journalière recommandée par le véto... Mais je te jure qu'après, si tu viens encore me traîner dans les pattes, je... oh et puis à quoi bon ? T'es complètement stupide, tu comprends rien à ce que je te raconte.

Il y eut un silence. Son regard sur le chat se fit plus doux, et elle ajouta :

- C'est moi qui suis débîle de te parler, comme si tu pigeais un traitre mot de tout ce que je dis. Je sais bien que t'es qu'un chat.

Elle le gratta dans le cou. Le chat se mit aussitôt à ronronner. Elle soupira :

- Mon pauvre gros Rex, je suis pas sympa avec toi, hein ? Et pourtant t'en as, de la chance, tu le sais ça ? Bien sûr que non. T'es qu'un chat. N'empêche que t'as bien de la chance d'être un chat. Je suis désolée mon minou, mais j'ai passé une journée bizarre, je suis un peu tendue. Vraiment étrange... Il y avait tout ce bruit, tout le temps, sans jamais s'arrêter, je ne sais pas comment dire, comme si... Même avec mon casque sur les oreilles, la musique, je... j'avais comme un brouhaha dans le crâne...

Elle resta un instant le regard dans le vide, continuant de gratter distraitement la tête de Rex, ravi. Et puis elle se redressa brusquement.

- Bon, peu importe. Je dois être fatiguée, c'est vraiment n'importe quoi tout ça, insensé, et puis de toute façon tu m'écoutes pas.

Rex miaula et s'éloigna de son pas gauche.

Elle se dirigea vers la cuisine, prit un paquet de gâteaux dans le tiroir à goûter (le "placard à cochonneries" comme disait sa mère), une pomme bien verte dans le saladier à fruits et attrappa son sac. Il faut vraiment que je fasse un peu plus attention à ce que je mange. Une pomme c'est bien, mais si je mange des gâteaux pleins de sucre avec, ça ne sert plus à rien. Et en croquant dans sa pomme, elle monta travailler à son bureau.

18h12. Elle releva la tête de ses révisions, assommée par deux heures de travail. Le soleil s'était couché, – bien qu'on ne l'ait pas vraiment vu de la journée avec ce temps grisâtre – les réverbères éclairaient les rues. En bas, la porte d'entrée claqua.

-          Hello les jeunes ! Mais il fait tout noir ici ! Il y a quelqu'un au moins ?

–    Salut papa ! Je descends !

–    Où est ton frère ? Demanda-t-il en l'embrassant.

–    À ton avis ? Sourit-elle. Je l'ai pas vu de l'après-midi, je crois qu'il ne m'a même pas entendu rentrer. Il est à fond, je comprends pas comment il fait : moi j'ai bossé deux heures et j'en peux plus !

Son père rit et lui demanda de l'aider à ranger les courses. Une fois terminé, elle remonta dans sa chambre pour lire un peu : elle s'était acheté un nouveau bouquin traitant des révolutions chinoises depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et elle avait hâte de le commencer.

- Racheeel, à taaable !

19h40. Elle avait dormi. Sa tête lui faisait un mal de chien, elle se sentait lourde, lente. Elle avait l'impression d'avoir dormi deux jours. Elle se redressa. Aouch...Oui, décidément, sa tête faisait un caprice.

- Oui oui... j'arrive !

Elle descendit comme un zombie, sa tête lui semblait peser trois tonnes. Sa mère était rentrée.

"Bonsoir ma chérie !"

- Bonsoir ma chérie ! Tu as passé une bonne journée ? Oulàlà, mais tu es blanche comme un linge, ça va ?

- J'ai dormi...

"Dormi ? Tu dois être malade..."

- Dormi ? Tu dois être malade mon coeur, tu as de ces cernes !

Mais c'est quoi cet écho trop bizarre ? Sa mère avait sûrement raison, elle devait se rendre à l'évidence, elle était malade. Mais comment était-elle tombée malade ? Elle faisait toujours tellement attention, c'était vraiment pas de chance. Sa mère lui dit de remonter se reposer, – et décidément il y avait de l'écho – mais elle avait faim. Elle se mit donc à table avec ses parents, bientôt rejoints par son frère, enfin sorti de sa caverne.

Rachel ne tint pas dix minutes, cet écho était infernal, et impossible de le faire taire. Elle ne voulait pas en parler à ses parents, ils auraient insisté pour l'emmener chez le médecin et, bien que Rachel trouvait ça normal, elle détestait les consultations (elle était excessivement pudique). La tête toujours aussi lourde, elle remonta dans sa chambre et, sans prendre le temps de se changer, savourant le silence délicieux de sa chambre, se laissa tomber sur son lit pour s'endormir tout aussitôt.

RachelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant