Une odeur de viennoiserie envahit rapidement la pièce. Ces pâtisseries beurrées à souhait me rappelaient mes mercredis matin chez mes grands-parents, une époque d'insouciance, si douce et si tendre.
En me réveillant, je fus surprise de constater que ce salon, autrefois transformé en camp de réfugiés, était devenus une table géante autour de laquelle tout ce beau monde était convié. Entre confitures, pâte à tartiner, crêpes, baguette, beurre et biscotte, il m'était bien difficile de choisir, encore somnolente je fusse ; enfin, je l'étais jusqu'à ce que Chloé eût le malheur de demander du beurre doux.
« Pardon ? demanda Mathieu ironiquement, du beurre doux m'as-tu dit ?
- Ma petite cocotte, dois-je te rappeler que tu es en Bretagne ? surenchérissait Perrine tout en regardant avec dégout la plaquette de beurre doux. On ne mange pas de beurre doux ici, le beurre doux ce n'est pas du beurre, le vrai beurre, le seule et véritable, dit-elle tout en soulevant l'autre plaquette tel un trophée, c'est le beurre salé ma grande ! »
- Chloé, je crois que tu n'aurais pas dû ! Lui dit Hanaë en riant.
- Bon écoute, ajouta calmement Pauline, tu es parisienne, on ne peut pas t'en vouloir...
- Quoi ?! Pauline ? Mais comment peux-tu... c'est blasphème de...
- Ta gueule Mathieu, tu crois que ce n'est pas blasphème de manger les croutons de la pizza avant la garniture peut-être ?
- Hey mais t'as pas...
- Tu veux que je continue peut-être ?
- Non mais...
- Bon ! donc je disais, on ne peut pas t'en vouloir, mais sache juste que pour les bretons certaines choses sont sacrées, et le beurre salé en fait partie. C'est une sorte de fierté régionale...
- Nationale même !
- Mathieu, s'il te plait, soupira Pauline, arrêtes de faire ton gamin de bon matin, tu veux ?
- Bon en gros, ce que veut dire Pauline c'est que c'est pas grave, allez qui veut des crêpes ? Demanda Hanaë pour apaiser les tensions.
Cette situation amusait Chloé bien plus qu'autre chose. Même si elle n'avait pas fait exprès, cette provocation des plus involontaire avait finalement tournée en « je n'ai jamais », un jeu d'alcool plutôt classique mais cette fois-ci... Avec des crêpes. Nul besoin d'être devin pour savoir qui fut à l'origine de cette idée prodigieuse !
Le reste de la matinée se déroula dans le calme. Après avoir écoulé tout le stock de crêpes nous rangeâmes l'appartement de fond en comble. Chacun partit un à un, rapportant son sac de couchage et une part de gâteau avec lui.
Il devait être aux environs de 13h lorsque Hanaë appela Kévin, un de ses amis les plus proches. Il n'avait pas pu venir à sa fête d'anniversaire la veille mais tenait à le lui souhaiter en face. Du coup, il s'était gentiment proposé de ramener Chloé en voiture jusqu'à la gare le lendemain. Son départ prévu pour 18h, nous avions donc encore largement le temps avant de nous rendre à la gare. Kévin nous proposa donc de passer chez lui boire un thé et papoter. Nous nous préparâmes rapidement et partîmes vers 14h.
Le temps était toujours aussi menaçant. Vue de si bas, le ciel était encore plus impressionnant. Ces nuages pêle-mêle et statiques, surplombant ces habitations aux toitures d'ardoise et aux façades blanches, me donnait la vague impression que le temps s'était arrêté. Du moins, je pense que c'était ce que j'aurais voulu. Je savais que Chloé partirait d'ici quelques heures. Pourtant, je ne me sentais pas triste, de toute façon je ne pouvais qu'accepter le cours des choses. En fait, j'étais déjà nostalgique à l'idée que les vacances allaient prendre fin. Chacune de nous retournerait d'ici quelques jours à ses occupations, son petit quotidien monotone, sa routine d'élève de terminale assez ennuyante, et qui pourtant passait à une allure folle. Peut-être allait-elle m'oublier, peut-être ne m'avait-elle accordé aucune importance. Après tout, je n'étais qu'un individu parmi tant d'autres, une connaissance de plus ou de moins, je n'étais qu'un visage de plus dans son catalogue de contact.
J'aurai voulu que ce bouquet d'émotion qui m'était tombé la veille dans les bras eut également été réceptionné sous son égide. Qu'il soit semblable à celui qui m'avait enchanté ; parsemé des mêmes couleurs et d'un parfum tout aussi délicat.
Mais, il valait mieux que je me rende à l'évidence, que je conserve cette désillusion sans pour autant la renier. Comme on archiverait le dessin d'un enfant dans sa commode, la grossièreté de ses traits témoignant d'une imagination espiègle et d'une maladresse certaine nous attendrit voire nous émerveille dans un premier temps. Mais nous ne tombons pas dans la fascination si facilement, au point d'espérer que ce dernier devienne le Picasso des temps moderne. Tout naturellement, nous finissons d'ailleurs par oublier cette feuille chiffonnée avec le temps.
Il fallait donc que je parvienne à établir le même acheminement avec ces souvenirs.
Chloé me plaisait dans un certain sens, mais j'étais incapable d'expliquer ce qui m'attirait. Je ne saurais donner la nature de ces sentiments. Pour sûr ce n'était pas de l'amour, loin de là. Je n'avais eu que quelques aventures et il m'était toujours difficile d'accorder ma confiance. À ce jour, je ne comptais que deux relations réellement sérieuses : deux garçons, ; l'un plus âgé d'une année et l'autre de trois.
Je pense que je devais lui vouer une sorte d'amitié très profonde.
Et puis ce n'était pas la première fois que j'appréciais la beauté d'une femme. Si la figure féminine était tant représentée en peinture comme en sculpture, ce n'était sûrement pas l'œuvre du hasard. J'étais persuadée que ce devait être un attrait qui la caractérisait. La femme était sûrement bien plus subtil et mystérieuse que ne l'était l'homme. Elle était donc un sujet plus passionnant et plus vaste du fait de sa complexité et sa diversité. Leur physionomie s'accordait parfaitement aux mouvements qu'exerçait le pinceau sur la toile. Il glissait sur son support tout en caressant avec avidité les courbes féminines de l'effigie de l'artiste. C'est ainsi que dernier parvenait à illustrer de nuances sa conception des femmes, la muse qui sut insuffler son inspiration et ses conspirations.
Décidément, la peinture était bien plus qu'un simple jeu de représentations.
« Thalia, Chloé, on descend au prochain arrêt ! Nous avertit Hanaë »
VOUS LISEZ
Thalia
Teen Fiction"Thalia qui es-tu? - Je ne sais pas, ou du moins je ne le sais pas encore" À la fois #FreeYourBody et #FreeLGBT