Appels masqués

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Pendant plusieurs années j’ai exercé le métier de télé-conseiller. J’appelais toute la journée des gens pour essayer de leur vendre des trucs.

Je suis sûr que vous avez tous reçu au moins une fois dans votre vie ce genre d’appels. Un opérateur téléphonique, par exemple, qui essaye de vous vendre son forfait mobile.
On ne va pas se mentir, ce genre d’appels, on s’en passerait bien. On a tous eu envie - et moi le premier avant de passer de l’autre côté - d’envoyer bouler le mec ou la nana qui essayait de nous refourguer son offre. Bien souvent, la personne à l’autre bout du fil n’a d’ailleurs même pas le temps de terminer sa phrase d’intro qu’on a déjà raccroché ou qu’on lui a balancé un « ça m’intéresse pas, au revoir. »

Je ne supportais pas ce genre d’appels. Puis un jour, j’ai eu une offre d’emploi pour devenir ce mec qui appellerait des gens toute la journée. Quand j’ai pris mes premiers appels je me suis rendu compte de quelque chose. Beaucoup de personnes n’ont pas l’air d’avoir conscience que c’est un être humain qui les appelle. À croire qu’ils nous prennent pour des robots sans âme, sans cœur, et incapables d’éprouver des émotions. Je fais ce qu’on me dit, je suis la trame d’appel qu’on me donne, je ne décide pas de qui je dois ou non appeler. Du coup, je me suis souvent fait remballer et pas toujours très gentiment. Ce n’est pas le seul coté négatif du métier. C’est répétitif aussi. On rabâche toujours la même chose. Les journées sont souvent longues. Il y a quand même des points positifs. Quand je réussissais à vendre un abonnement quelconque à quelqu’un que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve, j’avoue que j’étais envahi d’un sentiment de fierté. Ça n’effaçait pas complètement les désagréments mais je m’y étais fait à la longue. J’avais pris mes petites habitudes.

Et puis un jour, un appel a bouleversé ma vie. C’était il y a un environ un an. Cet appel m’a terrorisé. J’en ai perdu le sommeil pendant plusieurs semaines. J’avais déjà eu mon lot de bizarreries en plusieurs années de bons et loyaux services rendus à ma centrale d’appel. Mais là, j’ai flippé grave. À tel point que pour la première fois de ma carrière j’ai dû prendre un arrêt maladie de plusieurs semaines. J’étais traumatisé.

C’était un vendredi, c’était presque la fin de ma journée. Il devait être aux alentours de 19h30. On était en fin de fichier, du coup on avait beaucoup de répondeurs et pas mal d’attente entre les appels. J’attendais depuis trois minutes quand une fiche est enfin apparue. J’ai commencé comme d’habitude :

« Bonjour, Maxime du service commercial... »

L’homme à l’autre bout du téléphone m’a coupé en me disant d’arrêter tout de suite. Jusque là rien d’anormal, ça arrive souvent.
J’ai attendu une petite seconde pour écouter ce qu’il avait à me dire. En général les gens qui disent ça enchaînent en se plaignant soit des appels, soit affirment que cela ne les intéresse pas. Mais lui ne disait rien. J’entendais sa respiration, bruyante. Alors j’ai continué :

« Je vous appelle pour...

- Tais-toi, Maxime. »

L’énervement commençait à me gagner. C’était la fin de la journée, et même si j’avais l’habitude des gens irrespectueux, là, ça me tapait sur les nerfs. Il faut savoir qu’en tant que télé-conseillers nous avons des consignes et notamment celle de ne pas prendre de haut les clients, et que peu importe ce qu’ils nous disent nous devons toujours rester polis et courtois. Du coup, même si j’avais envie d’envoyer bouler ce crétin, je me suis contenté d’un :

« Monsieur, je m’excuse si... »

Il m’a coupé à nouveau.

« T’arrête pas de m’appeler Maxime. J’aime pas ça.

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