You're A princess

Six

Yumi observa le ciel. Les pétales des fleurs du cerisier de son jardin tombaient, et tels des flocons de neige, tourbillonaient dans le ciel avant de recouvrir l'herbe verte. Elle adorait le printemps.

Elle quitta son perchoir - son appui de fenêtre - et s'habilla. L'uniforme de son école était rouge, jaune et blanc, et la petite fille de sept ans se plaisait à dire qu'elle allait à Gryffondor. Elle enfila des chaussures austères, noua ses cheveux en queue de cheval, et ajouta un noeud élégant par dessus l'élastique. Rouge et jaune en plus, on ne la disputerait pas, enfin elle l'espérait.

Elle descendit l'escalier, et arriva dans la cuisine. Son père Liang et sa mère Xue mangeaient en silence, tandis que son frère Hiroki jouait au Tamagotchi qu'il avait reçu à son anniversaire. Il l'avait baptisé Jean-Pierre, ce qui avait fait rire sa sœur.
Elle se servit un bol de riz, et s'installa dans ce silence religieux à table.

Elle tentait de se faire oublier. Elle mangeait vite et en silence, comme si elle craignait qu'on ne la frappe.
C'est précisément ce qu'elle craignait.

En voyant son père se lever, elle su qu'elle n'y échapperait pas.

- Yumi, tu as eu des points a l'école ?

- Non.

- Quand est-ton bulletin ?

- Dans une semaine.

- Il y a trois semaines, tu as ramené un seize sur vingt. Ça va baisser ta moyenne. Je ne veux pas d'un âne comme fille, si ça baisse bien ta moyenne, inutile de revenir.

Il se rassit. Elle aurait préféré qu'il la frappe.

Mais voilà, son père la détestait. Elle aurait tout donné pour qu'il soit fier d'elle, mais non. Il adorait la rabaisser. C'était comme un jeu, un passe temps. Il aimait détruire sa fille.

Sa meilleure amie Liu lui avait raconté un dessin-animé. Un Disney. Ça s'appelait Atlantide, ça racontait l'histoire d'un explorateur qui retrouve la Cité Perdue. Et il y avait une princesse. Intelligente, belle, représentant fièrement son peuple. Portant sur elle le poids de leurs regards admiratifs.

Dont celui de son père.

Yumi aurait tellement aimé être cette fille, Kida. Son père était fier d'elle. Il avait confiance en elle.

C'était loin d'être son cas.

Alors la semaine suivante, quand elle reçu son bulletin, elle vit que sa moyenne avait effectivement baissé d'un demi point, et elle reçu les félicitations de son enseignante.

Elle prit son courage à deux mains et franchit la porte de chez elle.

Sans un mot, son père attendait dans le salon. Elle lui tendit respectueusement le papier, qu'il lu avec attention. Sans en détacher les yeux, il dit :

- Ton enseignante te félicite, bravo. Elle dit que tu es un vrai génie pour avoir des points pareils à ton âge. Elle a foi en toi.

Yumi attendit la suite, songeant que sa dernière heure était venue.

- Mais moi, je vois que ta moyenne en géométrie a baissé.

Il baissa la feuille, darda sur sa fille un regard emplit de haine, se leva, et l'attrapa par le poignet.

- Ne t'avais-je pas dit de ne pas revenir ? Petite bâtarde, tu n'as pas ta place dans cette maison !!! TU ES UNE RIEN DU TOUT, UNE ERREUR DE LA NATURE, PAS FOUTUE DE GARDER UNE MOYENNE CORRECTE !

Et il vociféra ainsi une partie de la soirée.

Cette nuit là, la petite fille fut battue. Mais elle avait déjà connu pire, du haut de ses sept ans.

Au soir, sa mère, dans la salle de bains, enleva doucement le pull de sa fille et soigna les plaies sanguinolentes. Elle avait des gestes d'une infinie délicatesse, débordants d'amour. Elle ne disait rien. Alors Yumi brisa le silence.

- Pourquoi moi maman ?

- Parce qu'il a peur.

- Peur de moi ?

- Peur de lui.

- Il me frappe parce qu'il a peur de lui ? C'est pas une excuse, ça n'a rien d'une excuse, ça n'y ressemble même pas. Il me hait parce que ma tête lui revient pas.

- Non, Yumi. Son père était bien pire avec lui, et il a peur que ça aïe déteint sur lui.

- Tu peux le rassurer : c'est un monstre.

Sa mère ne répondit pas.
Sans doute pensait-elle la même chose.

Alors dans son lit, Yumi se posa une question. Qui était plus monstrueux ? Son père qui la battait ou sa mère qui la laissait faire ?