UNE ROSE

23 décembre 1951. Par un froid glacial, un homme se promène dans la rue. Il cache tant bien que mal son nez dans son écharpe, plissant les yeux à chaque rafale de vent. La neige a recouvert le pays de son manteau blanc, et quelques flocons virevoltent avant de se poser doucement. L'homme se presse, redoutant la tempête de neige qui semble se préparer et protégeant la rose rouge qu'il tient précieusement entre ses mains. Il tourne au coin de la rue, manque de glisser sur le trottoir gelé et arrive enfin à son lieu de rendez-vous. Tous les jours, à la même heure, il a rendez-vous. L'amour de sa vie l'attend.

Il pousse le portail et, avec un petit sourire, souhaite bonjour à sa femme. Il n'attend pas sa réponse et s'approche. Une brise le fait frissonner, mais il l'ignore et commence à raconter sa journée. Les arbres se plient un peu, tordu par le vent, souhaitant écouter l'histoire de l'homme. Il raconte doucement et lentement ; les clients à l'épicerie, son déjeuner avec le voisin, le passage au café avant de partir la rejoindre... Elle semble écouter attentivement, et lui, la fixe tendrement. Ses yeux nagent dans un océan mélancolique de bonheur et de joie. Ses lèvres articulent chaque mot méticuleusement, ornées de son éternel petit sourire. Il ne semble pas pressé. Chaque phrase sort de sa bouche progressivement, avant de résonner dans le silence du village. Il conte comme chaque jour l'étendue de ses occupations, et tout autour de lui semble l'écouter. Certains passants passent, s'arrêtent pour l'écouter et repartent. De toute façon, il fait trop froid pour jouer aux curieux. L'homme continue de raconter les anecdotes de sa journée ; il rigole, parfois, et d'autres fois marquent des instants de pause, comme pour ne pas oublier tous ces moments précieux.

L'église, à présent, sonne sept coups. Les cloches tonnent dans le ciel assombrit, où les flocons de neiges sont de plus en plus nombreux à descendre de leurs nuages. L'homme jette un rapide regard vers le haut, frissonne et replonge ses yeux sur sa femme. Elle est si belle pour lui, elle représente tellement... Son esprit divague dans sa mémoire où chaque instant avec elle est rangé précieusement. Il ranime tant bien que mal ses souvenirs estompés par le temps. Elle est là, en face de lui, il la regarde, et un sourire béat s'affiche sur son visage gelé.

L'amour... c'est ce qui le conduit à venir la voir chaque jour, à veiller sur elle chaque minute, à penser à elle chaque seconde.

L'amour, ce qui la rend unique à ces yeux, c'est ce qui lui donne envie de se lever chaque jour.

L'amour, c'est ce qui ensuite lui donne le courage d'aller la voir, de lui offrir chaque jour une rose rouge, sa fleur préférée.

Il finit son histoire, marque un instant de pause, lui offre la fleur écarlate parsemée de flocons scintillants, et repart en prenant soin de refermer sans bruit le portail du cimetière.