Prologue - L'aube d'une légende.

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Le soleil se réfléchissait sur l'océan. Les mouettes indiquaient de leurs cris stridents que le périple de l'Alvarado touchait à sa fin. Cela faisait maintenant plus de trois semaines que le fier navire espagnol voguait par beau temps en direction de la Californie.

En ce printemps de l'année 1815, l'Espagne possédait un savoir-faire remarquable dans la fabrication de vaisseaux. La puissance de sa flotte navale était reconnue dans le monde entier et la qualité du service de ses soldats était exemplaire. On désignait son peuple comme courageux et prêt à tout pour prospérer. Cependant, parmi les colons espagnols, seule une poignée de familles avaient une réelle fortune. Les de la Vega faisaient partie de ces grands noms dorés de la Californie. Partis de rien, ils avaient surmonté leurs peines, gravissant pas à pas les échelons pour devenir des hommes respectés. Riches propriétaires terriens, on les désignait comme la fierté de Los Angeles.

L'Alvarado naviguait donc, vent en poupe, vers la terre coloniale espagnole. Le calme régnait et rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude de cette matinée. La douce mélodie du roulis des vagues n'était perturbée que par le tintement de deux lames qui s'entrechoquaient inlassablement.

« Et bien, Don Diego, vot' talent à l'escrime est dev'nu un véritable art ! lança le capitaine de l'Alvarado en parant de justesse le coup que lui assenait son duelliste.

— Merci, vous me flattez, señor ! Mon père a finalement peut-être bien fait de m'envoyer dans cette école militaire en Espagne ! »

Le jeune homme désarma alors son adversaire avec une habile feinte, envoyant l'épée de ce dernier se planter dans un mât plus loin.

« Qu'es'que j'disais ! Il jura puis ajouta : Si seulement 'pouviez embrocher l'commandant d'Los Angeles aussi facilement qu'vous m'avez vaincu, toute la Californie vous en s'rait reconnaissante ! À cause de lui, j'ai perdu des clients et plus personne ne veut faire de commerce là-bas ! »

Le marin essuya son front ruisselant de sueur, le souffle coupé. Il scruta du regard son opposant. Pas le moindre signe de fatigue ne transparaissait sur son visage. Soucieux, le jeune Diego de la Vega, qui inspectait sa lame avec attention, releva la tête :

« Que voulez-vous dire par là ?

— Bah ! Ce coyote dirige la ville d'une main de fer, favorisant ses intérêts personnels plutôt que ceux de la populace ! Les contrôles à l'entrée du p'tit village sont sévères et il a même mis en place une taxe de marchandises faramineuse ! répondit le capitaine, faisant un geste évasif de la main.

— Puis-je avoir son nom ? questionna alors Don Diego, les sourcils froncés.

— Ce satané gars se nomme Monastorio ! Faites profil bas ou, si vous osez vous dresser contre lui, vous finirez au bout d'une corde. Parole d'marin ! »

Le vieux loup de mer observa le talentueux escrimeur qui rangeait, d'un geste mécanique, l'épée dans sa ceinture. Il était grand, bien bâti et âgé d'une vingtaine d'années à peine. Il dégageait une aura à la fois rassurante et malicieuse. Son sourire espiègle laissait présager à quel point le jeune homme pouvait être surprenant. Cependant la chaleur qui émanait de ses yeux noirs en amande inspirait une confiance aveugle. Ses cheveux couleur d'ébène étaient coupés courts et, comme à l'accoutumée, en bataille.

Lorsque le capitaine l'avait retrouvé à Séville, il avait bien remarqué comment les señoritas le regardaient. Jeune, beau, riche avec un avenir prometteur... Que demander de plus ! Mais, il avait constaté par la suite que son voyageur devait également une partie de son charme à sa façon de se déplacer. Il se mouvait avec grâce et d'un pas feutré qui rappelait celui d'une panthère chassant sa proie. Dans les mains de Diego, l'arme était bien plus qu'un simple bout de métal. Lorsqu'il s'en emparait, elle semblait insufflée d'une âme nouvelle, se liant à son maître dans une parfaite harmonie. Jamais le capitaine n'avait vu une telle façon de jouter. Il semblait danser, portant toujours sur ses lèvres un sourire amusé. L'habileté au combat dont il faisait preuve laissait penser au marin qu'il était probablement le meilleur escrimeur qu'il n'eut jamais affronté au cours de sa vie.

La Rapière et l'Oiseau BleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant