En ce jour de marché, la place principale de Los Angeles regorgeait d'échoppes diverses et variées. Les commerçants alpaguaient les curieux, vantant les mérites de leurs articles. Les longs tissus aux motifs amérindiens, les poteries à l'effigie des divinités locales, les ragoûts, les produits du terroir, tous ces éléments dansaient une folle sarabande aux couleurs chaleureuses sous les yeux bruns d'Elena Vertugo. Entourée par ce monde fait de formes mouvantes et d'effluves, la jeune femme se sentait à l'abri.
Sous un ample chapeau de paille, elle avait noué ses sombres cheveux ondulés en un chignon tressé, dissimulé lui-même à l'aide d'un turban élimé. Ses pommettes bien dessinées, son teint clair et ses fines lèvres roses disparaissaient sous la boue qu'elle s'était appliquée le matin. Fluette et de petite taille malgré sa vingtaine d'années, elle faisait un jeune mendiant très convaincant. Il y avait deux raisons derrière à ce camouflage. La première était l'envie d'agir comme elle l'entendait, sans qu'un importun lui rappelle l'étiquette. La seconde était qu'elle pouvait pratiquer son jeu sans susciter le moindre soupçon. Elena aimait voler. Cependant, pas au même titre que n'importe quel gredin. N'ayant aucunement besoin d'argent, elle le faisait uniquement pour les sensations fortes que cela lui procurait. Mais pour y parvenir, elle sélectionnait ses victimes avec un soin méticuleux, selon des critères bien précis.
Ce jour-là, elle avait repéré sa cible plutôt rapidement. En temps normal, elle mettait un point d'honneur à ne traquer que les amis de sa belle-mère. Pour Elena, cette femme d'âge mûr était méprisable et ne méritait aucun égard. En effet, celle-ci s'était mariée avec son père uniquement pour sa fortune et ses terres. Dans le testament du défunt, il avait légué à son unique descendante l'intégralité de ses biens, ne laissant à sa seconde épouse qu'une petite villa en Espagne à son grand dam. Malheureusement, il y était indiqué que la jeune demoiselle n'aurait accès à son héritage que le jour de son mariage, l'abandonnant jusqu'alors de fait, à l'emprise de son infâme marâtre.
Cette fois-ci, c'était autrement plus important qu'une simple vengeance personnelle. Un ranchero battait son serviteur et Elena, qui regardait avec horreur la scène de loin, ne pouvait accepter de rester les bras ballants. Le faciès de ce vieil aigri ne lui revenait pas. Des maîtres corrigeant leurs esclaves, il y en avait plein, mais celui-ci le frappait avec une hargne sans pareille, faisant serrer les poings à la jeune voleuse. Tant de violence et de haine dans les propos la révulsait. C'était à se demander qui était réellement humain. La jeune voleuse pensa alors à ces soi-disant grands érudits qui passaient leurs journées à s'interroger sur des futilités, oubliant le principal.
Avec une grande discrétion, elle commença à traquer le vieil homme inconscient du danger qui planait dans son dos. La jeune femme n'en était pas à son premier larcin, ainsi elle savait exactement comment procéder. Lorsqu'il s'arrêtait à des échoppes, elle se cachait derrière une charrette ou un quelconque obstacle attendant patiemment qu'il reprenne sa route. Les passants lui jetaient parfois des regards mauvais. Personne n'aimait quand des pouilleux flânaient autour d'eux. Dans ces moments-là, elle baissait la tête, en signe de soumission, et demandait l'aumône. C'était bien assez pour que les curieux détournent les yeux, la chassant d'un revers de main. Elle poursuivait ensuite sa filature, changeant de ruelle pour ne pas éveiller les soupçons. Au cours de ses nombreuses sorties, elle avait étudié les moindres recoins de Los Angeles et bien malin serait celui qui pourrait lui échapper, car, ici, elle était sur son territoire. Elle suivait maintenant le ranchero depuis plus d'une heure et n'avait pas encore décelé une opportunité de passer à l'acte. Mais la jeune femme ne se décourageait pas pour autant. Un bon voleur savait être patient et reconnaître le moment propice. À en juger par son itinéraire, sa proie se dirigeait maintenant vers la caserne. Cela n'effrayait pas l'intrépide femme, au contraire, cette difficulté supplémentaire allait rendre la partie encore plus intéressante. Elle remarqua du coin de l'œil le regard insistant d'un garde et, pendant un court instant, elle eut une pointe d'angoisse. La toile de jute qui lui servait de poncho dissimulait Dia et Noche, ses deux fidèles lames. Leur poids était rassurant et elle pourrait se défendre si cela tournait mal. L'officier finit par se désintéresser d'elle, une grimace dégoûtée au visage. Apparemment, le masque de boue faisait son effet, se dit-elle intérieurement.
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La Rapière et l'Oiseau Bleu
FanfictionEn 1820, afin de défendre le peuple Californien, oppressé par un commandant despotique, Diego De la Vega endosse secrètement l'identité de Zorro, un hors-la-loi masqué rétablissant la justice. Cependant, il se retrouvera bien vite confronté aux dif...