Là où tout s'arrête

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Il était une fois une princesse qui ne savait rien du monde. Elle vivait seule avec ses parents dans leur château dont elle n'était jamais sortie. Eux non plus ne sortaient pas souvent.

C'était un modeste petit château, plutôt un manoir, avec un immense parc autour. Ah, les longues parties de cache-cache dans le bois ! Elle adorait ça ! Ils passaient le plus clair de leurs après-midis dehors tous les trois et, à force de poser des questions, la petite princesse Hortense connaissait le nom de tous les arbres, toutes les fleurs, les insectes et les oiseaux qui les entouraient.

Le soir, autour d'un grand feu, l'hiver, ou près de la fenêtre ouverte, quand il faisait chaud et que la nuit était claire au chant des grillons, ils lui racontaient des histoires. Des contes merveilleux regorgeant de princesses comme elle, qui finissaient par sortir de leur donjon et épouser ce qu'ils appelaient un prince. Mais comme on ne racontait jamais ce qui se passait après, Hortense était méfiante : "ils vécurent heureux", à quoi bon toutes ces péripéties pour au final trouver ce qu'elle avait déjà ici ? Quant à la formule "ils eurent beaucoup d'enfants", ça la laissait perplexe, elle qui n'avait pas de trop de l'attention de ses deux parents pour s'épanouir.

Une seule chose lui pesait dans cette vie et c'était justement à propos de ces contes. Ses parents refusaient de répondre à beaucoup de ses questions :
- Pourquoi les sept nains vivent dans la forêt ?
- C'est plus pratique, ma chérie.
- N'importe quoi, c'est loin de leur mine !
- Eh bien tu comprendras plus tard.

- Pourquoi la Belle au bois dormant n'est pas devenue toute plate et sèche à force de rester allongée et de ne pas manger ?
- Tu comprendras ça quand tu seras plus grande, mon cœur...

- Il dure combien de temps le voyage de la petite sœur jusqu'au bout du monde ?
- Tu verras quand tu auras grandi !

Ça, ça, ça l'agaçait au plus haut point ! Ah sûr, elle avait hâte de grandir et que tous ces mystères se dissipent enfin !

Il y avait une autre question à laquelle elle aurait aimé obtenir une réponse, mais elle n'osait pas la poser. Parfois, régulièrement, elle n'avait qu'un seul de ses parents avec elle. Où pouvait bien être l'autre ? Cela ne durait jamais bien longtemps et quand ils étaient à nouveau tous les trois réunis ensuite, le repas était servi ou bien elle recevait une jolie robe à sa taille, un jouet en bois précieux, un bijou...

Le soir dans son grand lit, derrière les rideaux du baldaquin, ses questions et ses pensées dansaient la valse dans sa tête. Elle les regardait tourner jusqu'à ce que le sommeil la cueille, épuisée.

Un soir, alors qu'elle luttait contre le tournis de son esprit, une émotion étrange la saisit. Elle retint sa respiration quelques instants, tendant l'oreille. Quelque chose grondait, crépitait. Quand elle laissa l'air s'engouffrer dans ses poumons, cela piquait. Elle se leva, se précipita à la fenêtre pour faire entrer de l'air. Dehors la nuit était battue en brèche par une grande lumière venant du château : tout brûlait ! Elle s'enroula dans une couverture et s'avança vers la porte de sa chambre. Mais la fumée arrivait en masse de toutes les fentes et interstices de ce côté-ci. Elle renonça et retourna vers la fenêtre, descendit le long du balcon, cœur martelant des mots d'alarme dans sa poitrine. Que se passait-il ? Où étaient ses parents ? Que devait-elle faire ? Dans les contes, quand quelque chose brûlait, un génie du gel ou un tsar de l'onde apparaissait pour faire cesser les flammes. Mais elle n'en avait jamais rencontré dans le bois.

Le château était tellement isolé que les voisins mirent longtemps à comprendre ce qui se passait. Quand les pompiers arrivèrent, l'aube pointait. Ils trouvèrent Hortense endormie dans sa couverture, au pied du grand arbre qui faisait face au perron. Le parc était intact mais tout dans le bâtiment était calciné. Dans une petite pièce dont la princesse n'avait jamais soupçonné l'existence, les secours trouvèrent deux corps carbonisés qu'ils essayèrent de dérober à ses regards.

Hortense observait tout les yeux grand ouverts, l'esprit vide. Elle avait la bouche sèche et son corps ne bougeait pas. Quand les deux civières passèrent devant elle, elle devina la forme des corps et se mit à trembler. Un pompier lui posa les deux mains sur les épaules en se baissant à sa hauteur. "Quelle âge as-tu petite ?" Elle le regarda sans répondre. "Tu as l'air d'avoir à peu près l'âge de mon fils. Viens chez nous quelques jours, le temps que la situation s'éclaircisse pour toi... tu veux bien ?" Il se releva et lui tendit la main, elle la saisit et le suivit jusqu'au camion.

Comme un conteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant