Hortense n'était jamais montée dans un véhicule. La route défilait et les images s'accumulaient en surimpression sur sa rétine, remplissant le vide de son âme mais ne produisant aucune signification. Il lui semblait n'avoir jamais vécu, se réveiller d'un long rêve. Quand le camion s'arrêta dans la caserne, l'immobilité soudaine ébranla quelque chose à l'intérieur : elle éclata en sanglot.
Son guide la pris dans ses bras et la serra doucement contre lui. Il la porta sur quelques mètres et la déposa dans une voiture. Il s'assit au volant et les vibrations du moteur commencèrent à bercer la petite princesse qui s'apaisa peu à peu. Quand il arriva chez lui, elle dormait à nouveau. Il lui prépara ce qu'il connaissait de plus réconfortant à manger : une bonne purée maison et de la mousse au chocolat.
Elle passa quelques jours chez le pompier. Son fils avait une collection de legos impressionnante et ils passaient des heures à jouer tous les deux, sans échanger de paroles. Ils construisaient un château.
Au bout d'une semaine pourtant, le pompier l'emmena dans le bureau d'une dame à la voix douce, qui lui expliqua qu'elle allait avoir une nouvelle famille et qu'il faudrait qu'elle aille au collège. Elle avait largement le niveau en lecture, mais pour les maths c'était plus compliqué. Elle avait en outre de sérieuses lacunes en histoire-géo et quelques autres matières... La dame lui demanda si elle se sentait assez forte pour suivre les journées d'école et prendre des cours de rattrapage en plus. Hortense préféra attendre un peu, demanda quelques jours pour réfléchir.
Le lendemain elle dut faire ses adieux à son ami aux legos et au château qu'ils avaient bâti.
La famille d'accueil vivait dans une grande ville, des dizaines de kilomètres plus loin. Pour toute verdure, il y avait un maigre jardin devant la maison et quelques arbres le long du trottoir. Des voitures, partout, emplissaient l'air de leurs vrombissements. La maison était coquette à l'intérieur, deux canapés moelleux au salon, dans les chambres de la moquette à l'ancienne... certes, rien à voir avec un château.
Le lit était douillet, un endroit idéal pour pleurer. Régulièrement, le père ou la mère ou même l'aînée des enfants, Julie, frappait doucement à la porte, demandait d'une voix timide s'il ou elle pouvait entrer et, si jamais Hortense répondait quelque chose qui ressemblait à un oui, s'asseyait sur la couette au niveau de ses pieds et la regardait d'un air gentil. Seulement gentil. Elle n'avait jamais eu affaire à la pitié mais elle savait confusément de quoi il s'agissait et leur savait gré de ne pas lui infliger ça.
Quand la personne au bout de la couette se sentait en confiance, peut-être quand les pleurs de la princesse s'étaient un peu calmés, elle tentait quelques mots. Hortense relevait... ou pas. Ça dépendait des moments. Les sanglots, ça se contrôle pas, surtout dans un cas comme ça.
À force, ils ont fini par faire connaissance. Un soir la mère lui a demandé si elle se sentait la force d'aller en cours le lendemain.
- Ça veut dire quoi ?
- Eh bien, il y a un collège à quelques arrêts de bus d'ici, un grand bâtiment avec des professeurs qui vont t'apprendre un tas de choses. J'ai été contactée par la principale, si tu veux je te donne la liste des autres élèves de ta classe, il y a même leurs photos, comme ça tu ne seras pas trop perdue en y allant. Julie te prête un vieux cartable pour commencer, quand tu auras un peu plus l'habitude on ira t'acheter quelque chose qui te plaît vraiment, d'accord ?
- C'est quoi un "aredbusse" ?La mère écarquille les yeux :
- Tu n'es jamais allée en ville ?
Hortense secoue la tête.
- Bon, il va y avoir beaucoup de choses à rattraper, mais si tu es d'attaque, je te propose une balade dans le quartier déjà. Pour le collège, on verra ça un autre jour. Je vais rappeler la principale pour avoir un numéro d'élève, on lui demandera de t'apporter les cours cette semaine, pour commencer en douceur.Les voilà donc dehors toutes les deux, un peu avant le coucher du soleil. Il y a un parc au bout de la rue. Derrière la fenêtre de la maison qui fait l'angle du carrefour, Hortense croit apercevoir une silhouette dans les tons rouges. Le temps qu'elle affirme son regard, il n'y a plus qu'un rideau animé d'un frémissement.
- Dites, Madame, c'est normal que les gens nous surveillent ?
- Ha ! Il y a de vieux voisins qui s'ennuient et passent leur temps à espionner la rue, oui... ce n'est pas nous qu'ils regardent, juste le parc, tous les enfants qui jouent... D'ailleurs... tu commences à être un peu grande pour ça mais : as-tu déjà fait de la balançoire ? Viens, je vais te pousser !Ce soir là, pour la première fois depuis l'incendie, Hortense s'endormit les yeux secs.
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Comme un conte
FantasíaHortense vit comme une princesse avec ses parents, hors du monde. Sa vie bascule en un jour à la disparition de ceux-ci. Plus tard elle rencontre Amarante dont le destin semble lié au sien...