Chapitre 3 - Treize

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Arrivant sur le parvis, un homme d'une trentaine d'année sortit du Temple ; grand, les cheveux tressés et attachés en arrière, les épaules larges et les muscles dessinés, il était impressionnant. Sa peau mate contrastait avec ses sandales d'or. Je reconnus l'eunuque de Nahiid. Il brissa le silence, en s'adressant à l'Assemblée d'un ton grave et terrifiant.

«- Villageois de Thiercellieux ! Depuis la descente de notre Bienfaitrice, vous la servez, jouant de toutes vos forces et de tout votre âme pour son ascension ! Mais nous qui sommes nous ?!

Il se répéta avant que tous nous nous écriâmes en cœur.

-Des hommes, nous sommes des hommes !

-Ainsi si vous êtes hommes, vous êtes mortels ! C'est pourquoi tous les trente ans, treize jeunes joueurs se voient remplacer leurs anciens, car le sang est la vie, et la vie ne doit pas s'éteindre !

-Amen Nahiid ! Amen !

- Voici les graciés de notre Meneuse ! Treize vieillards sortirent alors après lui, et se rangèrent à sa gauche, chacun d'eux portaient des masques blancs sans expression, c'étaient les masques de villageois simples, afin qu'on ne découvre leurs rôles et leurs identités. Thiercellieux, toi qui offre en ce jour treize nouveaux joueurs à Nahiid, que ton nom dure ! Il redescendit son regard sur nous. Maintenant, ceux dont je citerais le nom viendront prendre place devant un des anciens. Déroulant un parchemin d'argent, sa voix tonna de plus belle. Que vienne à mes cotés ; Kora Macjet, Tlalok Liodrès, Guillaume Amerh… »

Tout se mit à tourner autours de moi. Mon être supplia que mon nom soit entendu à son tour… C'est ce que je voulais, ce que j’espérais, mes rêves et ma vie. La liste continua.

Peu à peu des visages qui m'étaient familiers se hissèrent sur les marches, montant jusqu'au sommet. Les nommés me bousculèrent, me tournant le dos, le regard levé et montant vers le Temple. Mes yeux se fermèrent, une sale douleur me racla la gorge me donnant l'impression d'étouffer. Je concentra mon attention sur l'air frais d'automne et les murmures de la foule. Ça bourdonnait dans tout les sens à mes côtés, on paniquait, on doutait, et on attendait. J'entendis alors comme des murmures qui soufflaient mon nom, mais je n'osais y répondre. J'avais peur.

«- Adrien ! Adrien !

Le vent glacial continuait de fouetter mon visage abandonné. Et la main d'Elhene sur mon épaule me sortit de ma torpeur. Je comprenais maintenant le dénouement de la cérémonie ; Je n'avais pas rejoins la Partie. 

-Adrien… S'il te plaît, viens. Il faut qu'on rentre, on ne peut pas rester ici pendant la transmission des rôles….

Je ne pouvais pas bouger, mon ventre me tenaillait l'estomac et si j’émetais ne serait-ce qu'une parole, j'aurais probablement vomi.

-Adrien, je sais que tu m'en veux, mais Reivel est parti, tout le monde part ! Viens. »

Partir… ? Je ne pouvais pas. Pourquoi ? Parce que ce n'était pas réel. C'était impossible, j'allais me réveiller et tout recommencerait.

~

J'attendais l'instant où je serais dans mon lit, loin de cette irréalité. Mais non. Rien. Tout était là, bien là.

A l'instant où je commencait à y croire, un cri perçant se déversa dans mon dos, et mes esprits revinrent complétement en même temps qu'un mouvement de recul général. En me retournant, je vis la foule s'écarter ; des voix plaintives et Elhene figée. Au milieu de cette cohue, une femme se tordait le visage de ses mains ensanglantés. A ses pieds, un garçon d'une douzaine d'années gîsait, une hache dans l'épaule droite. Et les lamentations du misérable s'élèvaient difficilement entre deux spasmes. Regardant partout nerveusement, la coupable s’efforca de se justifier pitoyablement aux spectateurs médusés.

«- Pourquoi… ? Il est si jeune… Pourquoi ?! Elle éclata en sanglots, tombant à genoux. Ses frères et son père sont déjà morts pour ce jeu… Je n'ai plus que lui !! Je ne peux pas l'offrir… Pas lui... Elle continua, misérable et déformée par la colère, s’égosillant sous le mépris des autres. Moi j'ai toujours servi la Déesse !! Alors pas lui… pitié pas lui !! A quoi ça sert qu'il joue, qu'il vote, qu'il meurt par vos mains ?! »

Les premiers à se ressaisir accoururent vers l'enfant, tentant d'arrêter l’hémorragie ; d'autres allèrent vers la ménagère et l'empoignant par les bras, commencèrent à la traîner hors de la place.
Un homme s'occupant du blessé, tourna sa tête vers nous et déclara dans un soupir « La blessure n'est pas très profonde, aidez moi à l'emmener ! » Je sentis ma sœur respirer d'espoir comme ses congénères.

La femme l'entendit et hurla de plus belle.

«-Non !! Tuez-le ! Pitié … Je vous en prie ! Se débattant, elle glapit encore ; on s'éloigna d'elle, et certains lui crachèrent dessus. Je vous en supplie ! Il souffre… C'est mon fils ! Il faut qu'il échappe à ça …Pitié !! »

Lorsqu'elle glissa à mes pieds, je vis ses yeux rougis de tristesse. Elle était désespérée, ses joues enflées par la terre et les coups. Je rejoignis le mouvement, et ma salive s'étala sur sa figure.

Le Roman de Thiercelieux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant