8. Le chant

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Lorsque je remontai, un concert de vibrations retentissait tout autour de moi. Principalement des sifflements d'orques. Comme si le combat avait déjà commencé.

Je perçai la surface de l'eau. Le navire qui m'avait amené ici semblait s'être évanoui. J'aperçus Gudrun Kalt accrochée à un débris de bois, encore sous le coup de la surprise . Ôtant mon harnais pour gagner du poids, je l'emmenai en direction de la côte.

Il ne restait plus grand-chose de la plage mangée par le béton de la ville, à peine une bande de sable sur laquelle nous nous échouâmes avec quelques débris. Une agitation aussi grande semblait régner à terre que dans l'eau. Délaissant leurs véhicules bloqués dans la circulation, les habitants s'enfuyaient en courant.

« Vous saviez que cela allait arriver, s'exclama la médiatrice.

— Et vous ?

— Nous ne pensions pas que les tiliens mettraient en application un tel plan. Nous avions quelques doutes. Mais où auraient-ils caché leur armée ?

— Ici, dis-je en désignant la surface de l'eau, que crevait par intermittence une nageoire caudale. Ils se sont cachés dans leurs Atlantides secrètes.

— La fédération Nova ne peut rien faire, s'exclama-t-elle. Je suis sûr qu'il est déjà trop tard pour vous. Vos plate-formes gonflables ont certainement été écrasées comme des fétus de paille à l'heure qu'il est et vos habitants massacrés.

— En réalité, la fédération était beaucoup plus puissante que ce que je pensais », répliquai-je.

Non sans une pointe de doute et d'inquiétude dans ma voix.

J'attendais que l'océan me montre un signe ; mais je n'apercevais rien, sinon l'agitation des orques sans doute occupés à se battre contre les machines tiliennes.

L'un des monstres mécaniques surgit hors de l'eau. Il s'agissait d'un immense arthropode de métal, aussi haut qu'une grue, avançant sur ses quatre pattes d'acier et projetant en avant des membres préhensiles bardés d'outils de destruction.

Les tiliens n'emploieraient pas d'armes nucléaires, car leurs retombées seraient par trop destructrices. Ils craignaient aussi sans doute que les armes biologiques se retournent contre eux. Alors, il recourraient à des machines de cette sorte, immensément nombreuses. Ils avaient tout leur temps.

Le robot tilien étêta un immeuble d'un revers du bras. La majorité de la population humaine vivait sur les côtes. Une fois détruites ces villes littorales, le reste de la population se soumettrait sans résister.

« J'attends toujours votre miracle, dit Gudrun Kalt. Peut-être que vous parviendrez à négocier mieux que nous la reddition.

— Il n'y aura aucune reddition. Les tiliens sont là pour nous prendre la planète. Ils sont simplement en train de faire régresser l'humanité au stade où ils l'avaient trouvée : quelques tribus de chasseurs-cueilleurs itinérants, à la rigueur de petits éleveurs dispersés sur les continents.

— Aucune de nos armes ne sera suffisante contre eux.

— La plupart des armes auxquelles vous pensez nous ont été données par eux. Je n'en vois qu'une seule dont nous sommes certains : le langage.

— Les mots n'arrêteront pas ces monstres.

— Je n'ai pas dit les mots. Le langage regroupe bien plus que cela. Il regroupe aussi les syllabes. »

Ce fut le moment que choisit l'océan pour s'ouvrir de nouveau.

Deux machines identiques étaient en train de suivre le premier robot, émergeant pesamment des eaux. Un tentacule rougeâtre gigantesque claqua comme un fouet et s'enroula autour d'une des pattes métalliques. Les vérins renâclèrent, une scie acérée vrombit et la liane de chair éclata. Mais trois autres la remplacèrent ; cette fois, le robot perdit son équilibre et recula, clamé par l'océan.

Les trois syllabes de Klaus BergenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant