Bouteille à la mer

10 0 2
                                    

  Quand j'étais petite, la mer me fascinait. Elle était comme un monde parallèle auquel j'avais accès une fois par an, pendant la première semaine d'août. Le coffre de la voiture familiale se remplissait de sacs de plage,vêtements légers et crèmes solaires. La mer c'était le Saint Graal, un paradis tant attendu. C'était celle que j'observais longuement dans les cadres accrochés au mur du couloir du premier étage. Celle que je voyais dans les films. Celle que j'attendais pendant des heures, assise sur le siège arrière de la voiture, au milieu des bouchons. Celle dont je sentais l'odeur,au bout du camping, pendant que nous plantions la tente. Puis celle vers laquelle je courais, maillot de bain enfilé et soigneusement tartinée par maman de crème solaire indice quarante. La mer c'était cette couleur bleue,ce sable brûlant, ce soleil éblouissant. C'était cette odeur d'iode et ce goût amer dans la bouche. C'était le bruit des vagues et les cris des mouettes.C'était ses algues visqueuses et ses coquillages qui me faisaient mal aux pieds. C'était aussi les coups de soleil, l'odeur de la grillade, les châteaux de sable et les copains que je me faisais et que je perdais une fois cette semaine terminée. La mer c'était les vacances. C'était mon petit paradis après un an en banlieue parisienne et elle n'existait que là-bas, au bout de ce camping de la Côte d'Azur. 


La mer est restée une notion de paradis jusqu'à mes huit ans. Ma mère est morte cette année-là. Elle n'avait pas aussi bien contrôlé son usage de la cigarette qu'elle ne le prétendait. Quelques mois plus tôt, je l'avais vue fumer dans l'arrière-cour de l'immeuble et en m'apercevant, elle avait porté son index à ses lèvres pour me faire signe de garder le secret.Je l'avais gardé. Je m'en étais longtemps voulu après, jusqu'à ce que je  l'avoue à mon père, et qu'il me dise que je n'y étais pour rien, que de toute façon, le mal était déjà fait.

La traditionnelle semaine à la mer avait subitement pris fin. Mon père n'avait plus la force d'y retourner sans elle. A la place, je passais la semaine chez ma grand-mère maternelle. Il voulait que je garde des souvenirs de ma maman, même si elle n'était plus là pour m'en donner. 

J'ai fini par oublier la mer. Elle était reléguée dans un coin lointain de mon cerveau, avec les souvenirs des jours heureux. Non pas que je n'ai pas eu d'autres jours heureux. J'en ai eu beaucoup. Mais ils n'étaient plus comme avant, avec ma maman. Ils avaient perdu leur insouciance, leur innocence.Et la mer était devenue un paradis perdu, comme une légende urbaine dans mon cerveau de petite fille.


Pendant mon adolescence, j'ai développé une haine farouche envers la mer. Je ne sais pas trop si c'était une réaction détournée de la mort de ma mère ou si c'était simplement un rejet stupide dû à la crise d'adolescence. Quoi qu'il en soit, je la détestais. Je la trouvais sale et sombre. C'était un endroit où venaient paresser des milliers de touristes chaque été. L'eau était pleine de crèmes solaires et autres produits toxiques, sans compter le pipi des baigneurs. Quant au sable, il était rempli de mégots et détritus en tout genre. Ce n'était qu'un coin d'eau sale bordé d'un sable brûlant et entouré d'immeubles à perte de vue. La plage était inondée d'enfants braillards, marchands de glace et familles parfaites. 

Je pense que cette époque, où j'étais moi-même l'enfant braillard au cœur d'une famille parfaite qui achetait des glaces me manquait. Mais je ne voulais pas me l'avouer. Alors je la haïssais, parce que haïr faisait moins mal. La mer était devenue un paradis déchu. 


Quelques années plus tard, vers la fin du lycée, elle a commencé à me faire peur. Des tsunamis repassés en boucle à la télévision s'étaient ancrés dans ma mémoire. Les images de ces vagues plus hautes que des immeubles, s'élevant au-dessus des villes et emportant tout sur leur passage me terrorisaient. Les plus rationnels me disaient que c'était ridicule : je n'allais quand même pas me laisser impressionner par ces images qui, de toute façon, ne risquaient pas d'arriver en France ! Mais je venais de découvrir un nouvel aspect de la mer et de l'océan. Un aspect terrifiant. Je réalisais que la mer pouvait être destructrice. De vieilles peurs de mon enfance, oubliées, remontaient à la surface. Les images sanglantes des Dents de la mer, que j'avais regardées en cachette avec une copine.Ces documentaires aperçus à la télévision sur les espèces inconnues des grands fonds marins. Ces images de tempêtes de mer aux informations.L'immensité de l'océan me terrifiait. Voir des images de vagues au cinéma me faisait tourner la tête. Je refusais de monter sur un bateau et le simple fait de traverser un pont me mettait mal à l'aise, comme si un requin m'attendait en bas, la gueule grande ouverte à attendre que je tombe. Cette peur de l'univers aquatique m'a suivie pendant quelques années, jusqu'à l'université. J'étais incapable de la rationaliser. La mer était devenue un enfer. 

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Apr 18, 2017 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

When speaks my heartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant