Le crayon griffonne, la feuille se froisse et elle souffle, un peu agacée par cette fine courbe qu'elle ne parvient à créer. Ses manches claires frottent la page, sa frange noire s'agite doucement, ses esquisses de Monet s'estompent, s'améliorent, se transforment.
Lui aussi aime l'art. La poésie un peu plus, le monde un peu moins. Mais il réussit aujourd'hui à l'oublier, ces légers frottements de papiers animant son analyse de la toile. Curieux, attentif, il scrute la silencieuse au regard corail, ses longs doigts faisant énergiquement danser la mine sur son carnet. Ses mains tremblent un peu, elle n'a plus l'air d'y arriver. Rapidement, elle tourne la page et relève la tête. L'étrange peinture de ses lèvres se met alors à briller, la lumière révèle une nouvelle partie du tableau. Sorti de l'ombre, son profil se dessine, son regard capte le vide, l'or de ses boucles attire l'œil.Le relief de sa bouche le fait sourire. Sa courbe lui rappelle l'oeuvre dont il est l'auteur, cette même jeune femme qu'il ne cesse de décrire, celle qui la nuit dernière encore était dans ses rêves. Il divague, se perd, et laisse l'inconnue prendre la place de sa muse imaginaire. Cependant l'artiste est bien différente, ses yeux ne mentent pas. Glaciale, saisissante, l'intense Capricorne détruit d'un regard sa rêverie et son iris brun le met à nu. Cette nouvelle face du tableau le surprend, et le poète se laisse séduire.
C'est un jeu d'ombres singulier, un mélange d'assurance et de terre de Mars, une toile qu'il souhaite brusquement découvrir en détail. Mais le calepin se referme déjà, et la fille de ses nuits disparaît, ne laissant derrière elle qu'un dernier et rapide aperçu de son carnet.
Un nom, Sina, un fragment d'elle-même, seule et unique chose qu'il parviendra à obtenir de cette muse déjà prise.