Minuit

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00h00. L'heure à laquelle les jeunes sortent et l'heure à laquelle elle attend dehors.

« J'ai l'air vulgaire, insignifiante, je suis laide », se dit-elle.

En réalité, elle ne passe pas vraiment inaperçu. Cette jeune femme, frêle, d'une blondeur extrême a la peau pâle et les yeux bleus cernés de noir. Elle a un chiffre tatoué sur la nuque, le 171, et un piercing au nez.

Elle s'appuie sur la balustrade la plus proche, s'allume une cigarette puis se met à regarder tous ces jeunes semblants arriver de nulle part.

Les garçons, on ne peut pas encore parler « d'hommes », attendent appuyés sur le pare-chocs de leurs voitures que leurs petites copines, semble-t-il, veuillent bien sortir du bar. Lorsqu'elles font enfin leur apparition, on ne peut que constater leur extrême légèreté. Vulgaires, oui. Mais libres.

Quelques dealers attendent au coin de la rue, postés tels des chiens de garde, et sont vite rejoins par des jeunes intrigués.

Jeune, elle ne buvait pas, ne se droguait pas non plus et elle mit du temps à comprendre pourquoi on pouvait se détruire comme ça. Elle sut quand elle devint comme eux. Quand, tellement seule, tellement sale, c'était sa seule solution pour ne pas se noyer dans le chagrin.

Elle ne peut s'empêcher d'envier leur liberté, leur complicité, celle qu'elle aussi avait connue quelques années plus tôt et qu'elle avait perdue à jamais.

Quelques pochetrons traînent devant ce même bar en sifflant au passage des jeunes filles, ce qui les fait rire.

« Pauvres innocentes... », pense-t-elle.

Elle avait eu leur âge. Il y a bien longtemps. Son regard trop bleu et triste trahit cette force apparente et laisse deviner que sa vie n'est pas facile. Habillée elle aussi en jupe trop courte, ses bras cachés car trop marqués pour ne pas choquer, elle attend.

Quelques couples lui passent à côté, accélèrent légèrement le pas et baissent la tête. Cette marque d'indifférence lui fait affreusement mal.

Elle envie tous ces couples, insouciants et amoureux. Insouciante, elle ne l'est plus. Amoureuse, elle ne le serait jamais. Elle reprend une cigarette entre ses lèvres un peu trop gonflées qui laissent une marque rouge sur le filtre.

Le vent se lève violent faisant rentrer les jeunes dans leurs voitures, c'est fini. Elle aimerait partir.

Une voiture ralentie, la klaxonne, le cœur au bord des lèvres, elle monte...


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