Minuit II

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Elle aurait pu partir, espérer une seconde chance. Mais pour aller où ? Les flics la renverraient dans son pays. Personne ne peut rien pour elle. Elle est seule et a fini par accepter le fait que sa vie serait ainsi.

Elle a le temps de penser à cela dans la voiture de cet homme. Elle le regarde du coin de l'œil : de taille moyenne et plutôt en surpoids, il sourit légèrement en pensant à la nuit qu'ils vont passer. Son visage rouge et les zigzags que fait la voiture laissent penser qu'il n'est plus sobre. Ses cheveux, gras et longs, sont attachés en une queue de cheval basse.

La voiture ralentit tout à coup et s'arrête devant un motel assez modeste : « le Anton ». La réceptionniste, une femme d'un certain âge, regarde intriguée le couple improbable formé par la jolie jeune fille et l'homme au physique ingrat.

- Combien de temps, monsieur ?

- La nuit seulement, parvient-il à articuler.

Ils montent au second en silence. L'homme ferme la porte derrière lui et se met à rire. D'un rire forcé, le rire d'un homme qui croit que tout lui est dû. Ce même rire qu'elle a entendu beaucoup trop de fois et qui pourtant lui donne encore envie de vomir.

Il la frappe. Elle s'en doutait, ils font tous ça.

En plein milieu de la nuit, n'ayant plus la force ni de la battre ni de lui prendre la dignité qui lui reste, il dispose une liasse de billet sur la table de chevet et la laisse, seule et ensanglantée.

Quand elle entend la porte se refermer sur cet homme, elle ne peut retenir ses larmes : de soulagement, de tristesse, de colère... Elle se sent tellement sale, comme à chaque fois.

Elle entend frapper à la porte et voit la réceptionniste s'avancer dans la pièce puis se précipiter vers elle.

- Il est parti ne vous en faites plus. Est-ce que ça fait longtemps que vous... enfin...? demanda –t-elle.

- Trop longtemps.

- Si vous voulez, je peux vous aider, je peux vous faire travailler ou vous payer le retour chez vous. Personne ne devrait être contraint à ça.

- Je ne peux pas.

- Ne vous en faites pas, il y a des gens qui peuvent vous apporter du soutien, croyez-moi. Comment vous appelez vous ?

- Ana.

- Bien Anna, laissez-moi vous aider.

Ana ne peut s'empêcher de regarder cette femme. Ça faisait tellement longtemps que personne ne l'avait considérée comme un être humain. Elle la regarde encore quelques secondes, sèche ses larmes et remercie cette inconnue qui l'a traitée avec plus de respect que la plupart des gens.

- Dites-moi votre nom.

- Olympe Anton.

- Olympe, je ne vous oublierai pas.

Sans un mot de plus, sans un autre regard, elle ramasse la liasse de billets qu'elle met dans son sac, sort de la chambre et quitte la vieille femme. Un jour peut être...



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