Minuit V

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Elle ne se réveille que deux jours plus tard et trouve, sous son oreiller, un bout de papier sur lequel elle reconnaît l'écriture de Sarah :

Ana,

Ne crois pas que je t'abandonne. Ce qu'ils t'ont fait a motivé ma décision : j'ai rencontré quelqu'un, un client, il est gentil tu sais. Il m'a dit qu'il allait m'aider et qu'ils ne me feraient plus jamais de mal. Quand je serai chez moi, je ferai tout pour te sortir de là. Ne m'en veux pas Ana, je ne peux plus supporter tout ça. Brûle ce papier une fois que tu l'as lu, je ne veux pas qu'ils s'en prennent à toi. Prends soin de toi.

A très bientôt...

Sarah

Elle relit le papier plusieurs fois avant de comprendre qu'elle ne reverrait plus Sarah. Elle attrape son briquet et brûle les quelques mots de son amie. Comment peut-elle lui en vouloir ? Fuir était devenu la seule solution. Elle ne lui a même pas dit merci, pour tout.

Elle se douche, s'habille et descend l'escalier pour atteindre la cuisine. Elle ne sent plus le parfum de Sarah. A bout de forces, elle se laisse tomber sur un siège et essaie d'imaginer ce que pourrait être sa vie si le destin lui accordait une dernière chance.

Dans la soirée, elle entend des bruits de pas dehors. Elle se rapproche de la fenêtre et voit des ombres s'approcher de la maison. Quelqu'un enfonce la porte d'entrée.

- On a un message pour vous les filles. Allez toutes dehors.

Elles sortent en silence, telles des religieuses et se disposent en demi-cercle autour des quatre personnes présentes.

- Dès votre arrivée on vous a dit que certaines choses ne se faisaient pas. Fuir, par exemple, ne se fait pas, dit-il en hurlant.

Soudain il fait un signe à un des deux hommes qui tire la chétive ombre vers son supérieur. L'homme la saisit par les cheveux et ramène son visage vers lui. La pleine lune éclaire relativement bien la scène pour que les filles puissent identifier la mystérieuse captive.

Ana ne peut retenir ses larmes quand elle voit Sarah. Elle n'est plus qu'une ombre, un squelette suspendu au bras de l'homme. Rouée de coups, ensanglantée, mortifiée.

•On vous a prévenues, ne jouez pas avec nous. Vous êtes notre propriété. Rien, ni personne, dit-il en regardant Sarah, ne peut vous sauver.

Il glisse sa main libre dans son manteau et en sort un silencieux. Sarah ne pleure plus. Le sang a collé ses cheveux sur ses tempes, ses yeux sont gonflés par ses larmes, ou par les coups... Elle regarde fixement l'homme et se met à lui rire au nez. Ana reconnut là son amie : indomptable.

Le visage de l'assassin si proche du sien se voile d'une rage indescriptible. Ses yeux expriment toute la colère et la haine dont il est empli.

Il pose calmement son arme sur la tempe humide de Sarah se tourne vers Ana afin que cette dernière puisse lire sur ses lèvres : « N'aie pas peur, vis ». Il tire. Tout est fini.

- Que ça vous serve de leçon et vous vous occuperez d'elle, dit-il en désignant le corps inerte de la jeune femme.

Toutes les filles rentrent dans la maison, à l'exception d'Ana. Elle ne laissera pas son amie gire ainsi. Elle se dirige vers la remise et s'empare d'une pelle puis creuse.

Quand la nuit cède peu à peu sa place au soleil, elle a fini. Son amie dormira à tout jamais. Elle s'empare d'un tronçon de bois sur lequel elle a gravé : Sarah, enfin libre.

Elle se doit de vivre, pour Sarah et pour toutes ces autres, ses filles sans noms, seulement numérotées, à qui on a volé leurs vies. Alors sans un mot, sans un bruit, elle regagne sa chambre et prend le peu d'affaires dont elle dispose. Elle fouille dans la poche de son blouson et en sort une carte professionnelle : Hôtel Anton, 2 rue des Lilas, 333-564-789.

Aujourd'hui, s'offre sa seconde chance.


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